Il y a tout juste un an, le Conseil d’Etat a reconnu la défaillance de l’Etat face à la pratique avérée des contrôles au faciès. Or, le gouvernement français persiste dans son inaction, laissant perdurer une discrimination systémique gravement préjudiciable aux personnes visées et dommageable pour les rapports entre police et population.
Confrontés au refus d’agir des autorités françaises pour mettre fin à cette violation, nous avons décidé de nous tourner vers les instances des Nations unies.
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies définit la discrimination systémique comme une série de règles, politiques, et attitudes culturelles qui créent des désavantages pour certains groupes tout en favorisant d’autres. En France, les contrôles d’identité discriminatoires en sont une illustration frappante. Les forces de l’ordre ciblent de manière disproportionnée certains citoyens en fonction de leur couleur de peau ou de leur origine supposée, en particulier, les jeunes hommes perçus comme noirs et Arabes, y compris des enfants. Ces contrôles abusifs peuvent conduire à des violences policières plus graves à l’issue parfois fatale.
Pourtant, malgré des preuves abondantes, les autorités françaises s’obstinent à nier cette réalité et à prétendre que les contrôles discriminatoires ne sont le fait que de «brebis galeuses», autrement dit, de quelques policiers isolés, et non l’expression d’un cadre institutionnel défaillant. Ce déni entrave toute possibilité de réel changement.
En témoigne la réaction des autorités françaises, lorsque en juillet 2023, le comité de l’ONU veillant au respect de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale demandait à la France de « s’attaquer en priorité aux causes structurelles et systémiques de la discrimination raciale, y compris dans l’application de la loi, en particulier dans la police », en réaction à la mort de Nahel Merzouk à la suite d’un contrôle routier. Faisant la sourde oreille aux recommandations de l’ONU, le gouvernement français avait alors « invité le Comité à faire preuve de davantage de discernement et de mesure dans son propos dont elle regrette le caractère partial et approximatif ».
Un jugement historique, une inaction persistante
Confrontées à l’inertie coupable des gouvernements successifs, six organisations (la Maison communautaire pour un développement solidaire, Pazapas Belleville, Reaji, Amnesty International, Human Rights Watch, Open Society Institute) ont engagé en 2021 la toute première action de groupe en matière de discrimination raciale, avec pour objectif de faire reconnaître l’existence des contrôles d’identité abusifs et d’enjoindre l’Etat de mettre en place des mesures visant à les faire cesser.
Pour la première fois, la plus haute juridiction administrative française a constaté que des «contrôles d’identité basés sur des caractéristiques physiques liées à une origine réelle ou supposée» sont bien pratiqués, et qu’ils ne se limitent pas à des cas isolés. Pour autant, les juges se sont arrêtés au milieu du gué et n’ont pas ordonné à l’Etat, comme ils en avaient le pouvoir, de faire cesser cette pratique illégale à travers une série de mesures que nos organisations recommandent.
Face à une telle décision et à l’épuisement des voies de recours interne nos organisations ont franchi un nouveau cap, international cette fois, en saisissant, en avril dernier, le Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale (Cerd) cité plus haut. Notre demande est claire : que cet organe d’experts indépendants rappelle à la France la nature systémique du profilage racial en France, et l’appelle à prendre un ensemble de mesures pour y mettre fin, notamment, la modification du cadre légal des contrôles d’identité ; l’encadrement des contrôles visant des enfants ; la mise en place d’un système permettant la remise d’un justificatif à la personne contrôlée, la traçabilité et l’analyse des contrôles ; la création d’un mécanisme de plainte efficace et indépendant.
Ces mesures sont indispensables pour prévenir et lutter contre ces discriminations, en finir avec ces pratiques illégales, favoriser la confiance entre la population et l’institution policière. Nos organisations se tournent également vers d’autres mécanismes onusiens, comme le Comité des droits de l’homme qui veille au respect du pacte international relatif aux droits civils et politiques par les Etats parties, ou le Mécanisme international d’experts indépendants chargé de promouvoir la justice et l’égalité raciales dans le contexte du maintien de l’ordre (Emler), pour appeler la France à agir dans ce sens et à respecter ses obligations internationales.
Il est insoutenable que l’Etat continue d’ignorer la souffrance de ceux qui subissent ces contrôles du fait de leur couleur de peau ou origine supposée. Le nouveau Premier ministre a déclaré dans son discours de politique générale qu’il ne tolérerait « aucun racisme » et « aucune discrimination ». Il est urgent que cette promesse se traduise en actes, que la France honore ses engagements et respecte les droits fondamentaux de toutes et tous dans le pays. Chaque jour qui passe sans action est un affront aux principes de justice, d’égalité et de non-discrimination que le pays prétend défendre.
Par Céline Amar Coprésidente Réseau, égalité, antidiscrimination, justice, interdisciplinaire (Reaji)
Omer Mas Capitolin Cofondateur Maison communautaire pour un développement solidaire (MCDS)
Issa Coulibaly Président association Pazapas Belleville
Bénédicte Jeannerod Directrice France Human Rights Watch
Anne Savinel-Barras Présidente Amnesty International France