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Tanzanie : Protéger le droit à l’éducation des filles enceintes et des mères adolescentes

Ce pays devrait accélérer les réformes juridiques et politiques recommandées par le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant

Les politiques officielles de certains pays africains exigent que les écoles soutiennent les mères adolescentes en leur proposant des aménagements spéciaux à l'école. Cela inclut l’accès à des espaces privés pour l'allaitement et le temps de le faire, ainsi que la flexibilité requise pour s'occuper de leurs bébés lorsqu'ils sont malades, ou pour se rendre dans des cliniques de santé. © 2022 Ojima Abalaka pour Human Rights Watch

(Nairobi) – Le gouvernement tanzanien n’a pas adopté les mesures juridiques et politiques adéquates nécessaires pour protéger le droit à l’éducation des filles enceintes et des mères adolescentes, et pour mettre fin à des décennies de leur exclusion systémique des écoles, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui à l’occasion de la Journée internationale de l’éducation. Les filles tanzaniennes restent exposées à un risque élevé de stigmatisation et de discrimination à l’école, si elles sont enceintes ou devenus mères.

Plus de trois ans après que le gouvernement tanzanien a annoncé la fin d’une mesure discriminatoire interdisant aux élèves enceintes et aux mères adolescentes de fréquenter l’école, il n’a pas entrepris les réformes juridiques et politiques essentielles nécessaires pour clarifier les obligations de toutes les écoles, des fonctionnaires de l’éducation et des enseignants en matière de protection et de promotion du droit à l’éducation de ces personnes. Le gouvernement n’a pas non plus fourni le soutien et les aménagements adéquats nécessaires pour que les filles enceintes ou les mères adolescentes puissent rester à l’école.

« La révocation par la Tanzanie en 2021 de la mesure profondément discriminatoire et préjudiciable qui interdisait aux filles enceintes et aux mères adolescentes de fréquenter l’école a marqué un changement de cap important et un engagement à remédier à des années de discrimination, de stigmatisation et de pratiques abusives contre ces filles », a déclaré Elin Martínez, chercheuse senior auprès de la division des Droits des enfants à Human Rights Watch. « La Tanzanie devrait mettre fin à ses retards persistants dans l’adoption des réformes nécessaires à la protection du droit des filles à l’éducation, et veiller à ce que davantage d’adolescentes restent scolarisées. »

En novembre 2021, le gouvernement tanzanien a publié la circulaire sur l’éducation n° 2 de 2021, qui décrivait comment les élèves qui avaient abandonné l’école pour diverses raisons, notamment la grossesse, pouvaient y retourner. Par cette circulaire, le gouvernement a révoqué son interdiction scolaire discriminatoire contre les filles enceintes et les mères adolescentes. En février 2022, le ministère tanzanien de l’Éducation, de la Science et de la Technologie a publié des « Lignes directrices pour la réintégration des élèves qui ont abandonné l’enseignement primaire et secondaire pour diverses raisons ».

Cependant, les deux mesures contiennent des dispositions qui contreviennent aux obligations de la Tanzanie en matière de droits humains et qui devraient être modifiées d’urgence, selon Human Rights Watch. En particulier, les lignes directrices de 2022 comportent des obstacles administratifs à la réinscription des filles après une grossesse et prévoient un délai pouvant aller jusqu'à deux ans pour que les élèves qui sont mères puissent réintégrer l'école. Elles prévoient également que les filles qui tombent enceintes une deuxième fois ne seront plus réadmises dans l’enseignement formel.

En 2022, le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant (CAEDBE), un organe d’experts indépendant qui supervise le respect par les États membres de l’Union africaine de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (texte en français) a constaté que la Tanzanie avait violé le droit des filles à l’éducation, notamment en discriminant contre les filles en raison de leur grossesse ou de leur parentalité. Le Comité a publié ses conclusions en réponse à une plainte déposée par le Centre des droits juridiques et humains et par le Centre pour les droits reproductifs en juin 2019, au nom des filles tanzaniennes.

Le gouvernement tanzanien a retardé à maintes reprises l’adoption des recommandations de ce Comité africain. Celles-ci comprennent la révision de la loi sur l’éducation de la Tanzanie afin de définir des mesures concrètes pour empêcher l’expulsion des filles enceintes et mariées des écoles, d’interdire immédiatement les tests de grossesse obligatoires et de supprimer le mariage comme motif d’expulsion dans le cadre du Règlement n° 295 de 2002 sur l’éducation (« Expulsion et exclusion des élèves des écoles »).

Des recherches menées par de nombreuses organisations, dont Human Rights Watch, montrent qu’une période de congé obligatoire imposée aux mères adolescentes, en particulier pour de longues durées, va à l’encontre des efforts visant à aider les filles à retourner à l’école et à y rester. Plus longtemps les adolescentes sont déscolarisées, plus elles sont susceptibles d’abandonner définitivement leurs études. Une fois déscolarisées, les mères adolescentes courent un risque élevé de mariage d’enfants et d’autres atteintes aux droits humains.

Les rapports de la société civile montrent que les filles continuent d’être stigmatisées en Tanzanie lorsqu’elles retournent à l’école, et sont toujours découragées et marginalisées par certains directeurs d’école et enseignants dans diverses provinces. Les autorités scolaires ne sont pas suffisamment informées des instructions ministérielles actuelles pour soutenir la réinscription des filles, ou font preuve d’un large pouvoir discrétionnaire lors de l’application des directives, ce qui fait que les filles ne se réinscrivent pas.

En octobre 2024, des responsables du gouvernement tanzanien ont informé le Comité africain que le gouvernement achèverait la révision de sa loi sur l’Éducation d’ici la fin de 2025. Le Comité africain a réitéré ses appels à la Tanzanie pour qu’elle veille à ce que les filles enceintes, mères et mariées aient le droit de réintégrer l’école sans restriction ni délais, qu’elle supprime la limite de deux ans pour réintégrer l’école et qu’elle s’attaque aux motifs d’expulsion liés au mariage. Le comité a également recommandé à la Tanzanie de garantir une interdiction claire, contraignante et explicite des tests de grossesse obligatoires dans les écoles et les établissements de santé.

Le gouvernement devrait adopter  d’urgence une politique nationale qui fournisse aux responsables scolaires des directives conformes aux droits humains sur la gestion des grossesses chez les adolescentes dans les écoles, et qui définisse une série de mesures visant à soutenir le retour des mères adolescentes à l’école.

Le gouvernement devrait également accélérer la réforme de sa loi sur l’Éducation, notamment en y insérant des protections positives pour défendre le droit à l’éducation des apprenantes enceintes et des mères qui ont des enfants, en supprimant les dispositions problématiques qui permettent l’expulsion des filles sur la base du mariage et en ajoutant une interdiction explicite du test de grossesse obligatoire pour les élèves. Ces mesures permettraient d’aligner les pratiques et les cadres juridiques et politiques de la Tanzanie sur ceux de nombreux autres pays africains, a déclaré Human Rights Watch.

« Des dizaines de milliers de filles ont été victimes de discrimination et de stigmatisation dans les écoles tanzaniennes, voire d’exclusion», a conclu Elin Martínez. « Le gouvernement devrait adopter d’urgence une politique nationale qui définisse les obligations des écoles pour protéger le droit des filles enceintes et des mères adolescentes à aller à l’école, modifier la loi sur l’Éducation pour garantir leur droit à l’éducation et interdire toutes les pratiques qui excluent et discriminent les filles. »

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