- L'État du Manipur, dans le nord-est de l'Inde, est confronté à un risque de recrudescence des violences ethniques malgré la démission de son ministre en chef, figure controversée, et le placement de cet État sous l’autorité de la présidente indienne, le 13 février.
- La Cour suprême indienne s'est inquiétée de ce qu'elle a qualifié de « désordre total » au Manipur après le déclenchement, en mai 2023, de violences ethniques entre la communauté majoritaire Meitei et les communautés tribales Kuki-Zo.
- Le gouvernement national devrait agir pour mettre fin aux violences, apporter une aide à toutes les personnes touchées et instaurer la confiance entre les communautés. Les groupes armés et les forces de sécurité de l'État devraient être tenus responsables des abus.
(New York, 28 mars 2025) – L'État du Manipur, dans le nord-est de l'Inde, est confronté à un regain de violence depuis la démission de son ministre en chef, figure controversée, et la décision du gouvernement de placer cet État sous l’autorité de la présidente indienne, le 13 février, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui ; cet État est maintenant régi selon le système « President’s rule ».
Au moins cinq personnes ont été tuées et de nombreuses autres blessées, dont des membres des forces de sécurité, lors de récents affrontements. Le 8 mars, un homme a été tué et plusieurs autres blessés dans le district de Kangpokpi lorsque des violences ont éclaté après que les autorités ont tenté de rétablir les liaisons de transport dans l'État. Le 19 mars, un autre homme a été tué à la suite d'affrontements entre deux communautés tribales dans le district de Churachandpur. Le gouvernement national, dirigé par le Premier ministre Narendra Modi, devrait agir pour mettre fin aux violences, qui ont fait plus de 260 morts et déplacé plus de 60 000 personnes depuis mai 2023, et veiller à ce que l'aide humanitaire parvienne à toutes les personnes touchées. Les groupes armés, les groupes d'autodéfense soutenus par le gouvernement et les forces de sécurité de l'État devraient être tenus responsables des abus.
« La démission du ministre en chef du Manipur, qui avait attisé les clivages, n'a pas mis fin à la méfiance entre les communautés, ni aux violences qu’elle suscite », a déclaré Elaine Pearson, directrice de la division Asie à Human Rights Watch. « Le placement de cet État sous l’autorité de la présidente indienne devrait être perçu comme une opportunité de rétablir la sécurité, de poursuivre en toute impartialité les responsables d'abus, de mettre fin aux violences au Manipur et d’y promouvoir le respect des droits humains. »
De février à mars 2025, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 15 personnes, dont des militants des droits humains, des avocats, des animateurs communautaires, des professionnels de la santé, des journalistes et des universitaires des communautés Meitei et Kuki-Zo touchées par les violences au Manipur.
Depuis près de deux ans, des violences ethniques entre la communauté Meitei, majoritairement hindoue, et des communautés tribales Kuki-Zo, essentiellement chrétiennes, ravagent le Manipur dont la population est estimée à 3,2 millions d'habitants. Des groupes de membres armés des deux camps, après une pause, sont de nouveau actifs.
Le gouvernement de l'État du Manipour, dirigé jusqu'au 9 février par le ministre en chef N. Biren Singh, du Bharatiya Janata Party (BJP) au pouvoir, a systématiquement favorise la communauté Meitei dans sa réponse aux violences. Les autorités dirigées par Biren Singh, y compris la police, auraient protégé des groupes d'autodéfense Meitei, tels que l'Arambai Tenggol et le Meitei Leepun, qui ont pillé des armes dans les arsenaux de l'État et mené des attaques collectives contre les Kuki-Zo. Singh a nié ces allégations de parti pris.
L'État du Manipour a été divisé en deux zones ethniques séparées par des zones tampons dotées de postes de police et de patrouilles des forces de sécurité. La vallée, qui abrite la capitale de l'État, Imphal, des bureaux administratifs, des centres de santé et le principal aéroport, est dominée par la communauté majoritaire Meitei, tandis que les Kuki-Zo et d'autres communautés tribales sont en grande partie confinées dans les collines.
Plusieurs femmes Kuki ont signalé des violences sexuelles, notamment des viols, commis par des hommes Meitei. Des groupes de Meitei, dont des militants armés, ont incendié, attaqué et vandalisé des maisons, des commerces, des villages et des lieux de culte, ciblant principalement la communauté Kuki-Zo. En septembre 2024, des combattants Kuki présumés ont attaqué des villages dans les districts d'Imphal Ouest et de Bishnupur, tuant trois personnes de Meitei. En novembre, des combattants Kuki présumés ont enlevé et tué trois femmes et trois enfants Meitei dans le district de Jiribam, tandis que deux hommes ont été brûlés vifs.
L'administration Modi a appelé à la récupération des armes volées et a entamé des négociations pour réduire la violence. De nombreux habitants du Manipour estiment que le gouvernement central aurait dû agir plus tôt. « Nous avions supplié le Premier ministre d'intervenir, mais il s'en est désintéressé, alors que des centaines de personnes ont été tuées et blessées », a déclaré un militant. « Aujourd'hui, les liens communautaires sont complètement rompus. »
En août 2023, la Cour suprême indienne a exprimé ses inquiétudes face à ce qu'elle a qualifié de « rupture totale de l'ordre public » au Manipur. Elle a souligné « de graves allégations, notamment des témoignages de témoins, indiquant que les forces de l'ordre ont été incapables de contrôler les violences et, dans certains cas, ont collaboré avec les auteurs », et a demandé l'ouverture d'une enquête sur ces allégations.
Un agriculteur kuki de 40 ans, originaire du district de Kangpokpi, vit avec sa famille dans un camp de secours géré par la communauté dans le district de Churachandpur depuis une attaque par une foule Meitei en mai 2023. « Il y avait plus de 200 personnes, accompagnées d'une douzaine de policiers, et la foule était armée d'armes sophistiquées », a-t-il déclaré. « Nous n'avions aucun moyen de nous défendre, alors nous avons couru vers la jungle. Nous avons grimpé aux arbres et nous les avons vus brûler les maisons et l'église avec du kérosène et de l'essence qu'ils transportaient. »
Le soutien de l'ancien gouvernement de l'État aux combattants Meitei et sa complicité dans les violences ont érodé la confiance dans l'État de droit et ravivé les revendications des Kuki-Zo pour un territoire fédéral distinct.
Les autorités indiennes devraient démobiliser et désarmer les groupes d'autodéfense, garantir une réparation rapide aux victimes et aux survivants d'abus, et prévoir des mesures impartiales de justice et de responsabilisation, a déclaré Human Rights Watch. Toutes les personnes déplacées à l'intérieur du pays devraient bénéficier d'une alimentation adéquate, d'un abri, d'eau potable, de vêtements appropriés, de services médicaux essentiels, d'installations sanitaires, d'une éducation pour les enfants et d'autres services d'assistance et de protection de base, conformément au droit international des droits humains, indépendamment de leur religion, de leur origine ethnique ou de leur citoyenneté.
Les autorités devraient garantir le droit au retour des personnes lorsque les conditions seront réunies pour un processus sûr et volontaire, mené conformément aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes à l'intérieur de leur propre pays, avec la participation pleine et entière de toutes les communautés concernées, y compris la participation égale des femmes.
Les forces de sécurité devraient respecter les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois, qui exigent que les forces de sécurité n'utilisent que le minimum de force nécessaire en tout temps. Pour disperser des rassemblements violents, les armes à feu ne peuvent être utilisées que lorsque d'autres moyens moins dommageables ne sont pas possibles, mais dans la mesure minimale nécessaire. Les forces de l'ordre ne peuvent recourir intentionnellement à la force meurtrière que lorsque cela est absolument indispensable pour protéger des vies.
Le gouvernement indien a annoncé des mesures visant à désarmer les groupes, à rétablir la libre circulation des véhicules et à démanteler les points de contrôle communautaires afin de mettre fin à la ségrégation des communautés et de rétablir la normalité dans l'État.
« Le gouvernement indien a pris les premières mesures nécessaires, mais il devrait s'engager véritablement à respecter les droits humains, à assurer réparation et réhabilitation aux victimes, et à garantir une justice impartiale », a conclu Elaine Pearson. « Les communautés doivent pouvoir regagner leur confiance les unes envers les autres, mais aussi envers le gouvernement, pour que ces violences cessent. »
Suite détaillée en ligne en anglais.
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