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Principes communs sur l’éloignement des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile déboutés

Août 2005

Depuis plusieurs années, les organisations non gouvernementales en Europe dénoncent les graves violations des droits de l’homme qui ont lieu au cours d’opérations d’éloignement et de d/rétention. Les organes internationaux de protection des droits de l’homme tels que l’UNHCR, le Conseil de l’Europe et le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des migrants ont également exprimé de vives inquiétudes sur ce sujet.

Préambule

Depuis plusieurs années, les organisations non gouvernementales en Europe dénoncent les graves violations des droits de l’homme qui ont lieu au cours d’opérations d’éloignement et de d/rétention. Les organes internationaux de protection des droits de l’homme tels que l’UNHCR, le Conseil de l’Europe et le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des migrants ont également exprimé de vives inquiétudes sur ce sujet.

Les ONG signataires du présent document déplorent l’utilisation accrue de la d/rétention pour décourager les demandeurs d’asile et les migrants. La d/rétention est souvent justifiée par les Etats européens comme seule possibilité d’assurer l’effectivité des politiques d’éloignement. Or les ONG s’interrogent sur la validité d’un tel postulat car, souvent, la d/rétention est utilisée alors même que l’éloignement est improbable parce que les pays d’origine ou de destination ne délivrent pas de laissez-passer.

Les organisations signataires de ce document demandent instamment à l’Union européenne et aux Etats membres de s’assurer que les politiques de retour (incluant les opérations d’éloignement et de d/rétention) respectent strictement les besoins et la dignité des individus.

Ainsi, ce document met en évidence les principes fondamentaux qui doivent prévaloir dans l’élaboration de toute politique d’éloignement y compris dans la future directive européenne sur le retour.

Les normes ainsi élaborées devraient être applicables sur tous les territoires des Etats membres de l’Union européenne, y compris dans les zones de transit, aux frontières et dans les aéroports.
Principes

1. Priorité au retour volontaire

La priorité devrait être accordée à l’acceptation par les personnes de se conformer elles mêmes à une décision d’éloignement, grâce notamment à des conseils et à une aide matérielle.

La loi devrait donc prévoir une distinction entre la décision mettant fin au séjour légal et la décision d’éloignement forcé afin de permettre à la personne d’organiser son retour volontairement, dans une période limitée dans le temps.

2. Protection contre l’éloignement des personnes vulnérables

Tout éloignement forcé doit être mis en oeuvre dans le respect de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CEDH)1 , de la Convention de Genève relative au statut des Réfugiés de 1951 et de son Protocole de 1967 ainsi que d’autres obligations découlant de la protection internationale des Droits de l’Homme. Le principe de non-refoulement doit être respecté.

Les expulsions collectives sont interdites par le droit international. 2

Une mesure d’éloignement ou une décision d’exécution d’une mesure d’éloignement ne devraient être prises que lorsque les demandes de protection internationale, y compris celles fondées sur la Convention de Genève, CEDH (en particulier les articles 3 et 8), et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ont été examinées par un organe judiciaire indépendant.

Les mineurs3 ne devraient jamais être éloignés de force, ni détenus. Conformément à la Convention internationale des Nations Unies sur les Droits de l’Enfant de 1989, les mineurs isolés4 ne devraient être renvoyés dans leur pays d’origine que si le retour est sans risque et dans leur intérêt. Cela doit être assuré par un examen individuel de la situation. Il ne devrait en aucun cas s’agir d’un éloignement forcé.

Les personnes gravement malades ne devraient pas faire l’objet de procédure d’éloignement sans qu’il soit établi qu’elles disposent d’un accès réel5 à un traitement approprié et à des soins médicaux dans leur pays d’origine.

Les victimes de la traite des êtres humains devraient être protégées comme prévu par la Convention européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains6 et comme proposé par le groupe d’experts européens sur la traite des êtres humains7.

Par extension, toute personne vulnérable dont les intérêts seraient atteints par l’éloignement forcé, devrait être protégée contre l’éloignement, en particulier les personnes âgées et les femmes enceintes.

Les victimes de violations des Droits de l’Homme telles que l’exploitation par le travail, les abus sexuels ou autres atteintes, devraient pouvoir obtenir des garanties de compensation avant que toute mesure d’éloignement ou décision d’exécution de l’éloignement ne soit mise en oeuvre.

3. Accès systématique à un recours suspensif

Toute personne faisant l’objet d’une mesure d’éloignement ou d’expulsion devrait avoir droit à un appel suspensif individuel contre cette décision devant un organe judiciaire indépendant, permettant de faire valoir les craintes de refoulement ou de mauvais traitements après le retour contraire à l’article 3 de la CEDH et la Convention contre la torture ou des violations potentielles de l’article 8 de la CEDH. Un délai suffisant pour former cet appel et le rendre ainsi effectif devrait être prévu par la loi.

Les demandeurs d’asile doivent avoir accès à un recours avec effet suspensif contre une décision d’éloignement. Cette possibilité est fondamentale pour éviter le refoulement des demandeurs d’asile déboutés qui n’ont pas pu avoir accès à une procédure d’appel suspensif après une décision négative en première instance.

Un mécanisme approprié devrait être mis en place pour s’assurer que les personnes victimes de la traite des êtres humains ne soient pas éloignées.
Un accès gratuit à des interprètes, à une aide juridique et à un représentant légal pendant toute la durée de la procédure d’éloignement et de d/rétention devraient être également prévus par la loi.

4. La d/rétention doit demeurer l’exception

Les ONG signataires du présent document expriment leur désaccord avec le principe de d/rétention des étrangers en situation irrégulière qui n’ont pas commis de crime ou autres offenses.

Nous rappelons que la d/rétention doit être une exception absolue et n’intervenir qu’en dernier recours, conformément à ce qui est permis par le droit international des réfugiés et les droits de l’homme.

Si une mesure moins contraignante ou un maintien en liberté sans condition apparaissent insuffisants et lorsqu’il a été prouvé que les mesures alternatives à la d/rétention ne permettaient pas d’atteindre l’objectif fixé, légal et légitime après examen de la situation individuelle, alors seulement, il peut être recouru à la d/rétention.

Conformément à l’article 5-1 f de la CEDH, une telle d/rétention n’est possible que si la procédure d’éloignement s’effectue avec toutes les diligences requises de l’administration. Une durée maximum de d/rétention, qui doit être la plus courte possible, doit être prévue par la loi. Lorsque la mesure d’éloignement n’est pas exécutée durant cette période, la personne devrait être libérée.

Les personnes appartenant aux catégories vulnérables, dont les mineurs isolés, les familles avec enfants, les femmes enceintes de plusieurs mois, les mères qui allaitent, les personnes ayant été victimes de tortures et de traumatismes, ne devraient jamais être d/retenues.8

La prolongation de la d/rétention devrait être régulièrement contrôlée par un juge lors d’audiences auxquelles la personne d/retenue est présente. Cette procédure devrait donner à la personne d/retenue la possibilité de faire une demande de libération à n’importe quel moment. Lorsque la d/rétention est jugée illégale, la personne concernée devrait être libérée immédiatement et avoir droit à une compensation, conformément à l’article 5-5 de la CEDH.
Les personnes dans l’attente d’être éloignées devraient être d/retenues dans des locaux séparés des détenus de droit commun. De plus, hommes et les femmes doivent être d/retenus séparément, sauf les couples.

Le droit d’accès à une assistance gratuite juridique, médicale, psychologique et sociale, ainsi que le droit de visite pour les familles, les ONG, et les représentants des communautés de foi religieuse devraient être garantis par la loi et précisés par les règlements intérieurs de chaque centre. Ces règlements intérieurs devraient prévoir la liberté de mouvement des d/retenus à l’intérieur des centres tout comme des normes de sécurité et d’hygiène.

5. Respect du principe de l’ unité de famille

Les parents ne devraient jamais être séparés de leurs enfants. Une famille ne devrait pas être renvoyée de force dans son pays d’origine si l’un de ses membres ne peut rentrer9.

Les familles avec enfants ne devraient pas être renvoyées de force si l’intérêt supérieur de l’enfant est de rester, par exemple si l’enfant a vécu un traumatisme important, s’il a de graves problèmes de santé ou a entamé un processus éducatif. Les enfants devraient être autorisés à séjourner jusqu’à la fin de l’année scolaire en cours.

6. Création d’organes de contrôle de l’éloignement indépendants

Des organes de contrôle indépendants aux niveaux national et européen devraient être mandatés pour faire régulièrement, de façon impromptue et illimitée, des visites sur les lieux de d/rétention, d’éloignement, y compris dans les zones de transit. Ainsi, les Etats devraient créer un système indépendant de suivi des procédures de renvois forcés, notamment par la nomination d’observateurs ou de médiateurs pour mener des enquêtes approfondies et impartiales en cas d’allégations de mauvais traitements.

7. Respect des recommandations du Conseil de l’Europe sur l’usage de la force

L’éloignement forcé devrait toujours se dérouler dans la dignité et la sécurité, et dans le respect du droit à la vie et à l’intégrité mentale et physique ; Il doit se dérouler dans le respect de la recommandation 1547 du Conseil de l’Europe.

8. Interdiction du bannissement : suppression de l’interdiction du territoire

L’exécution d’une mesure d’éloignement ne devrait pas être suivie d’une interdiction du territoire, et/ou d’un enregistrement dans le Système d’Information Schengen. Cela équivaudrait à une double peine et pourrait avoir de graves conséquences sur le respect du principe de non-refoulement.

9. Un statut légal devrait être accordé aux personnes qui ne peuvent pas être éloignées

L’exécution d’une mesure d’éloignement ne devrait être possible que dans une période raisonnable, définie par la loi. Lorsque l’éloignement n’a pas pu être exécuté au cours de cette période, la mesure d’éloignement ou la décision d’exécution de l’éloignement devrait être annulée ou suspendue.
Une fois que la mesure d’éloignement ou la décision d’exécution de l’éloignement a été annulée ou suspendue, la personne concernée par ces mesures doit immédiatement être mise en possession d’une autorisation légale de se maintenir sur le territoire lui permettant l’exercice des droits élémentaires. Si, après une période raisonnable définie par la loi, la mesure ou la décision d’exécution de l’éloignement ne peut pas être exécutée, la personne devrait avoir la possibilité de demander un permis de séjour. Ces personnes ne devraient jamais être d/retenues.



[1] Article 5 de la CEDH
[2] Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 13; Protocole 4 de la CEDH, article 4; Charte européenne des droits fondamentaux, article 19.
[3] « Mineur » : personne âgée de moins de dix-huit ans (Convention internationale des Nations Unies sur le droit des enfants, 1989).
[4] « Mineur isolé » : mineur de moins de 18 ans hors de son pays d’origine et séparé des ses deux parents ou de ses tuteurs légaux ou de fait.
[5] « Accès réel » : « accessibilité aux installations, biens et services en matière de santé, sans discrimination, à toute personne relevant de la juridiction de l’Etat. L’accessibilité a quatre dimensions qui se recoupent : la non-discrimination, l’accessibilité physique, l’accès économique (coût abordable) et l’accès à l’information ». (Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CESCR) des Nations Unies, commentaire général no.14, article 12 )
[6] Convention européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains, Conseil de l’Europe, mai 2005, protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (novembre 2000), Article 7. Les Etats ont aussi un devoir de prendre des mesures pour prévenir les violations des droits de l’homme, voir les « Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international relatif aux droits de l'homme et de violations graves du droit international humanitaire », Résolution 2005/35 (19 avril, 2005), Annexe 3(a) de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies
[7] Rapport du groupe d’expert sur la traite des êtres humains, décembre 2004, annexe 2
[8] La détention est une violation de l’article 37 de la Convention sur les droits des enfants de l’ONU signée par tous les Etats membres. Voir également, les lignes directrices modifiées de l’UNHCR sur les critères applicables et les standards concernant la détention des demandeurs d’asile de février 1999 ; Directive 6 : “Les mineurs demandeurs d’asile ne devraient jamais être détenus.” Directive 7 : “Sur la détention de personnes vulnérables : la recherche d’alternatives à la détention devrait être mise en oeuvre pour tous les demandeurs d’asile rentrant dans les catégories suivantes : personnes âgées non accompagnées; victimes de tortures ou de traumatismes; personnes avec des déficiences mentales ou physiques”. Directive 8 : « Sur la détention des femmes: “en règle générale, la d/rétention des femmes presque à terme, des mères qui allaitent, toutes celles qui ont des besoins spéciaux, devrait être évitée ”.
[9] Article 8 de la CEDH: droit au respect de la vie privée et familiale.

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