(La Haye) – La Syrie n’a pas respecté une ordonnance émise il y a un an par la Cour internationale de justice (CIJ), qui exigeait que le gouvernement syrien prennent toutes les mesures en son pouvoir pour empêcher les actes de torture dans ce pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le 16 novembre 2023, a Cour internationale de justice avait ordonné la mise en place de mesures conservatoires dans le cadre de l’affaire portée par les Pays-Bas et le Canada, qui alléguaient que la Syrie violait la Convention internationale contre la torture.
Les recherches de Human Rights Watch montrent que les Syriens demeurent exposés aux risques de disparition forcée, de torture aux effets parfois fatals, et de détention dans des conditions abjectes. Un an après l’ordonnance de la CIJ, Human Rights Watch a mis en ligne un dossier web (en anglais) mettant en lumière les efforts de nombreux Syriens afin que les individus responsables des abus, qui se poursuivent, soient tenus de rendre des comptes.
« Les autorités syriennes continuent d’envoyer des personnes dans les centres de détention du pays, qui sont connus pour la torture », a déclaré Balkees Jarrah, directrice adjointe du programme Justice internationale à Human Rights Watch. « Malgré les difficultés, les familles et les survivants syriens restent déterminés dans leur lutte pour la justice, que ce soit par le biais de la plus haute cour du monde ou d’autres voies. »
La plainte, déposée en juin 2023, citait le traitement illégal des détenus, les conditions de détention inhumaines, les disparitions forcées, les violences sexuelles et sexistes, les violences contre les enfants et l’utilisation d’armes chimiques comme preuves que la Syrie violait la Convention contre la torture. Il ne s'agissait pas d'une procédure pénale visant des individus, mais plutôt d'une demande de détermination juridique quant à la responsabilité de l'État syrien pour des actes de torture.
Des récents rapports publiés par Human Rights Watch, par d’autres organisations de défense des droits humains, et par la commission d’enquête mandatée par les Nations Unies, indiquent que les autorités syriennes continuent de se livrer à des pratiques abusives en violation de l’ordonnance de la Cour internationale de justice.
En août 2024, le Réseau syrien pour les droits humains (Syrian Network for Human Rights, SNHR) a publié un rapport documentant la mort d’au moins 43 personnes suite à la torture depuis que la CIJ a émis son ordonnance. Dans ses deux derniers rapports (publiés en février 2024 et en août 2024), couvrant la période de fin 2023 à fin juillet 2024, la Commission d’enquête internationale indépendante des Nations Unies sur la République arabe syrienne a indiqué que le gouvernement syrien continue « de soumettre des personnes placées sous la garde de l’État à des actes de torture et à des mauvais traitements, y compris à des pratiques donnant lieu à des décès en détention ».
Par ailleurs, en juillet dernier, la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a déclaré que « les informations disponibles indiquent que la torture continue d’être largement pratiquée […] dans les centres de détention gérés par le gouvernement syrien ». En juin, l’experte de l’ONU avait adressé au gouvernement syrien une demande d’informations sur les violations en cours et les mesures prises pour exécuter l’ordonnance de la CIJ ; elle a par la suite décrit la réponse du gouvernement syrien comme étant « totalement inadéquate » et « ne répondant spécifiquement à aucune des allégations ».
L’ordonnance de la CIJ enjoignait aussi la Syrie de prendre des mesures pour « assurer la conservation de tous les éléments de preuve » liées à la torture ou à d’autres actes interdits. Toutefois, des groupes non gouvernementaux syriens et la Commission d’enquête de l’ONU ont fait part de leurs inquiétudes au sujet d’une récente mesure législative des autorités syriennes portant sur la dissolution des tribunaux militaires de campagne du pays, ce qui pourrait être une tentative de supprimer ou de dissimuler les preuves d’une longue liste d’abus, y compris la torture.
Le Canada et les Pays-Bas ont jusqu’au 3 février 2025 pour achever le « dépôt des pièces de la procédure écrite » dans le cadre de leur plainte portée contre la Syrie. L’ordonnance de mesures conservatoires précédemment émise par la Cour ne préjugeait pas du bien-fondé des allégations selon lesquelles la Syrie a violé les dispositions de la Convention contre la torture.
La Syrie a régulièrement nié les allégations de torture, malgré les preuves documentées depuis plusieurs années par des organismes des Nations Unies et des organisations non gouvernementales indépendantes, dont Human Rights Watch, qui ont constaté que les crimes commis dans les centres de détention syriens constituent des crimes contre l’humanité.
De nombreux Syriens, y compris ceux qui ont décidé ou ont été contraints de revenir après avoir quitté d’autres pays où ils avaient trouvé refuge, sont exposés aux risques de disparition forcée, de détention arbitraire dans des conditions abjectes, et de torture.
Bien que des gouvernements européens aient affirmé que certaines régions de Syrie présentent actuellement des conditions sûres pour le retour de Syriens qui s’étaient réfugiés à l’étranger, les recherches menées par Human Rights Watch et d’autres organisations montrent que ce n’est pas le cas. Les pays ayant accueilli des réfugiés syriens devraient immédiatement mettre un terme à tout retour forcé ou sommaire de ces personnes vers la Syrie, ainsi qu’à tout projet visant à faciliter ou à encourager de tels retours, a déclaré Human Rights Watch.
Les politiques migratoires de certains pays qui poussent des réfugiés syriens à retourner en Syrie sont en contradiction avec les décisions de justice rendues dans des États membres de l’UE, selon lesquelles les autorités syriennes sont responsables de tortures et d’autres abus constituant des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Ces affaires ont été rendues possibles grâce à des lois qui reconnaissent le principe de compétence universelle, et son applicabilité pour certains des crimes les plus graves selon le droit international.
Le principe de compétence universelle permet d’enquêter sur de tels crimes et d’engager des poursuites, quel que soit le lieu où ils ont été commis et quelle que soit la nationalité des suspects ou des victimes. Ce principe demeure l’une des rares voies viables pour obtenir justice pour les crimes commis en Syrie.
« Les douze derniers mois ont été marqués par la poursuite du plan d’action horrible que le gouvernement syrien utilise depuis plus d’une décennie : détenir, faire disparaître, torturer et tuer », a conclu Balkees Jarrah. « Les autres gouvernements devraient d’urgence utiliser leur influence pour s’assurer que la Syrie respecte l’ordonnance de la Cour internationale de justice, et soutenir tous les efforts visant à obtenir justice pour les abus qui continuent. »
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