Le placement en garde à vue le 30 juin de Hissène Habré, l’ancien dictateur du Tchad, est une étape majeure de la longue campagne pour le traduire en justice, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
« La roue de la justice tourne », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique de Human Rights Watch ayant travaillé avec les victimes de Hissène Habré depuis 1999. « Après 22 ans, les victimes de Habré peuvent enfin entrevoir la lumière au bout du tunnel. ».
Habré est accusé de milliers d’assassinats politiques et de l’usage systématique de la torture pendant son régime, de 1982 à 1990, lorsqu’il a été renversé par l’actuel président Idriss Déby Itno et a fui au Sénégal. Il y vit en exil depuis lors. Après une campagne de 22 ans menée par les victimes, les Chambres africaines extraordinairesont été établies au sein des juridictions sénégalaises en février afin de poursuivre des crimes les plus graves commis durant son régime.
Le Procureur général des Chambres, Mbacké Fall, a demandé à ce que Habré soit mis en garde à vue. Selon la loi sénégalaise, une personne peut être placée en garde à vue pour une durée de 48 heures pour les besoins de l’enquête et s’il existe contre elle des indices de culpabilité. La garde à vue peut être prolongée avec l’autorisation du parquet pour une nouvelle période de 48 heures.
Il est fort probable que le procureur prenne un réquisitoire introductif saisissant les juges d’instruction des Chambres et demande l’inculpation de Habré avant la fin de la période de garde à vue. Si Habré est inculpé par les juges d’instruction, il pourrait faire l’objet d’un mandat de dépôt alors même que les juges d’instruction commenceront leur information.
La phase d’instruction est supposée durer 15 mois. Elle sera potentiellement suivie d’un procès à la fin de l’année 2014 ou en 2015.
« Cela fait plus de deux décennies que j’attends de voir Hissène Habré traduit en justice », a déclaré Clément Abaïfouta, président de l’Association des Victimes des Crimes du Régime de Hissène Habré (AVCRHH), qui en tant que prisonnier politique sous le régime de Habré a été forcé de creuser des charniers et d’enterrer des centaines d’autres prisonniers. « Nous allons enfin pouvoir confronter notre bourreau et et recouvrer notre dignité en tant qu’êtres humains. »
Contexte
Le régime à parti unique d’Habré a été marqué par des atrocités commises à grande échelle, y compris des vagues d’épuration ethnique. Des documents de la Direction de la Documentation et de la Sécurité, la police politique de Habré, découverts par Human Rights Watch en 2001, ont révélé les noms de 1208 personnes exécutées ou décédées en détention, et de 12 321 victimes de violations des droits de l’homme.
Les Etats-Unis et la France ont soutenu Habré pendant son régime, le considérant comme un rempart contre Mouammar Kadhafi et la Libye. Les Etats-Unis de Ronald Reagan ont apporté en secret, et par le biais de la CIA, un soutien paramilitaire à Habré afin que celui-ci prenne le pouvoir dans son pays.
Habré a été inculpé une première fois au Sénégal en 2000. Mais les tribunaux sénégalais ont statué qu’il ne pouvait pas y être jugé, et ses victimes ont alors déposé plainte en Belgique. En septembre 2005, après quatre années d’enquête, un juge belge a inculpé Habré et la Belgique a demandé son extradition.