(Nairobi) – La clôture formelle des travaux du Tribunal pénal international pour le Rwanda le 31 décembre 2015 accentue l’importance pour les gouvernements à travers le monde d’intensifier leurs efforts pour traduire en justice les suspects restants.
Le 14 décembre, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a rendu son dernier jugement en appel dans l’affaire contre l’ancienne ministre de la Famille et de la Promotion féminine, Pauline Nyiramasuhuko, et cinq co-accusés. Pauline Nyiramasuhuko était la première femme inculpée pour génocide par un tribunal international. Le tribunal l’a reconnue coupable de viol, entre autres crimes. La Chambre d’appel a confirmé les condamnations pour la plupart des chefs d’accusation contre Pauline Nyiramasuhuko, son fils Arsène Ntahobali et quatre autres autorités locales, mais elle a réduit les peines prononcées à l’encontre des six accusés.
« La création du TPIR a constitué une évolution extraordinaire dans la réponse internationale aux violations graves et généralisées des droits humains », a déclaré Géraldine Mattioli-Zeltner, directrice du plaidoyer pour le programme Justice Internationale à Human Rights Watch. « Cela a envoyé le message que les crimes graves, quelle que soit la personne qui les commet et quel que soit le lieu où ils sont commis, devraient faire l’objet de poursuites et de procès. »
Autre évolution importante en décembre, les autorités congolaises ont arrêté Ladislas Ntaganzwa en République démocratique du Congo. Le TPIR a inculpé Ntaganzwa – l’ancien bourgmestre de Nyakizu, dans le sud du Rwanda – de génocide, incitation à commettre le génocide et crimes contre l’humanité, et a transféré son affaire en 2012 au Rwanda pour qu’il y soit jugé. Ntaganzwa est actuellement détenu dans la capitale congolaise, Kinshasa.
Human Rights Watch a documenté le génocide rwandais de façon détaillée et a suivi de près le fonctionnement du TPIR depuis sa création. Alison Des Forges, conseillère senior pour la division Afrique de Human Rights Watch pendant près de vingt ans, a publié un rapport détaillé sur le génocide rwandais qui fait autorité, « Aucun témoin ne doit survivre », et a comparu à titre de témoin expert dans onze procès du TPIR.
Le TPIR a été créé par le Conseil de sécurité des Nations Unies en 1994 en réponse au génocide du Rwanda. Il avait pour mission de mener des poursuites contre « les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda, ainsi que les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d’États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. » Il était censé juger essentiellement les suspects de plus haut niveau et ceux qui avaient joué un rôle majeur dans le génocide.
Le TPIR a jugé et condamné plusieurs personnalités éminentes, notamment l’ancien Premier ministre Jean Kambanda, l’ancien chef d’état-major de l’armée, le Général Augustin Bizimungu, et l’ancien directeur de cabinet du ministère de la Défense, le Colonel Théoneste Bagosora. Le TPIR a inculpé 93 personnes, en a condamné 61 et en a acquitté 14, contribuant d’une manière sans précédent à établir la vérité sur l’organisation du génocide au Rwanda et à rendre la justice aux victimes.
Le TPIR a également établi une jurisprudence importante en matière de droit pénal international et a servi de précédent à la création de la Cour pénale internationale, dont le traité fondateur a été adopté à Rome en 1998.
Toutefois, le tribunal a souffert de limitations fondamentales et a suscité des critiques, en particulier de la part de Rwandais. Lors de la cérémonie de clôture des travaux du tribunal le 1er décembre, le ministre rwandais de la Justice, Johnston Busingye, a réitéré les critiques du gouvernement concernant le manque de réparations pour les victimes et le fait que le tribunal était situé en dehors du Rwanda. Il s’est également plaint du fait que des personnes condamnées pour génocide étaient autorisées à parler aux médias. D’autres ont critiqué le nombre relativement réduit d’affaires traitées par le tribunal et son coût opérationnel élevé, ainsi que ses processus bureaucratiques et la durée des procès.
Selon Human Rights Watch, le plus grand échec du TPIR a peut-être été son refus d’engager des poursuites pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis en 1994 par le Front patriotique rwandais (FPR), le groupe rebelle qui a mis fin au génocide et qui demeure depuis lors le parti au pouvoir au Rwanda. Lorsqu’elles se sont emparées du pays en 1994, les troupes du FPR ont tué des milliers de civils, hutus pour la plupart. Même si l’ampleur et la nature de ces meurtres n’étaient pas équivalentes ni comparables au génocide, les victimes et leurs familles ont elles aussi droit à la justice. Alors que le TPIR avait un mandat clair pour juger ces crimes, aucune affaire concernant le FPR n’a fait l’objet de poursuites devant le TPIR.
Parallèlement au travail du TPIR, le système judiciaire rwandais a jugé un nombre impressionnant de suspects de génocide, tant dans les tribunaux nationaux classiques que devant les juridictions locales communautaires ou tribunaux gacaca. La qualité et le respect des normes pour un procès équitable ont été extrêmement variables. Des cas d’ingérence et de pressions politiques ont abouti à un certain nombre de procès inéquitables. D’autres procès ont fait preuve d’un plus grand respect de procédure régulière.
Des procès de suspects de génocide rwandais se sont également tenus devant des tribunaux nationaux de plusieurs autres pays, dont la Belgique, la Suisse, l’Allemagne, le Canada, la Finlande, la Norvège, la Suède, les Pays-Bas et la France.
Dans certains de ces pays, comme par exemple la France – qui avait soutenu l’ancien gouvernement du Rwanda et appuyé certaines des forces qui ont ensuite commis le génocide – de nombreuses années se sont écoulées avant que les procès ne commencent. Le premier procès en France – celui de Pascal Simbikangwa, un ancien membre des services de renseignement rwandais – a eu lieu en 2014, à la suite de la création d’un pôle national chargé des crimes de guerre.
Le TPIR a déféré deux affaires à la France. L’une concernait Laurent Bucyiabaruta, qui a été arrêté puis relâché en 2000 par les autorités françaises, puis de nouveau arrêté en 2007 en vertu d’un mandat d’arrêt international émis par le TPIR. Il est actuellement détenu à Paris. L’autre affaire, concernant Wenceslas Munyeshyaka, un prêtre accusé de génocide et de crimes contre l’humanité, a été rejetée le 2 octobre par un tribunal français, invoquant une insuffisance de preuves.
Le TPIR a déféré d’autres affaires au Rwanda, dont celles de Jean-Bosco Uwinkindi en 2011 et de Bernard Munyagishari en 2012. Leurs procès au Rwanda ne sont pas encore terminés. Le TPIR a également déféré au Rwanda les affaires de six fugitifs : Ladislas Ntaganzwa, trois autres autorités locales, un officier militaire et un homme d’affaires.
Pour obtenir le transfert d’affaires du TPIR, le gouvernement rwandais a entrepris des réformes législatives visant à respecter les normes internationales de procès équitable. Certaines de ces réformes ont été importantes et positives, par exemple l’abolition de la peine de mort en 2007. Le TPIR a accepté de transférer des affaires au Rwanda pour qu’elles fassent l’objet de poursuites nationales en 2011 après d’autres réformes.
« Human Rights Watch a documenté des réformes juridiques importantes au Rwanda au cours des dernières années, mais estime que le système judiciaire rwandais manque encore d’une indépendance suffisante et que des procès équitables ne peuvent pas être garantis dans tous les cas », a déclaré Géraldine Mattioli-Zeltner. « Les autorités rwandaises devraient s’assurer que les autorités judiciaires peuvent prendre des décisions sans ingérence du gouvernement, en particulier dans des affaires politiquement sensibles. »
Le TPIR transmet trois autres affaires au Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux. Ce mécanisme résiduel est chargé d’un certain nombre de fonctions essentielles du TPIR et du TPIY – le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie –, notamment les appels, de nouveaux procès éventuels et des procès en révision, la protection des victimes et des témoins, la supervision de l’application des peines et l’assistance aux juridictions locales.
Sa priorité essentielle est d’obtenir l’arrestation, le transfert et les poursuites de huit individus encore en fuite, dont cinq doivent être jugés par le Rwanda et trois autres par le mécanisme lui-même : l’ancien ministre de la Défense Augustin Bizimana, l’ancien commandant de la Garde présidentielle Protais Mpiranya, et Félicien Kabuga, un homme d’affaires.
L’exécution des mandats d’arrêt internationaux a posé un problème majeur. Ni le TPIR ni le mécanisme résiduel ne disposent de leur propre police pour effectuer des arrestations et ils dépendent entièrement de la coopération des États où vivent les suspects.
Lors de la cérémonie de clôture des travaux du TPIR, le ministre rwandais de la Justice, Johnston Busingye, a appelé les « États où se sont réfugiés des suspects inculpés de génocide à comprendre qu’ils ont un devoir envers l’humanité, et envers les victimes du Rwanda, de s’assurer que ces suspects soient traduits en justice. »
Les pays devraient faire tout ce qui est en leur pouvoir pour traduire les suspects restants en justice, a insisté Human Rights Watch. Le mécanisme résiduel devrait continuer à rechercher activement les huit fugitifs du TPIR, et les pays devraient fournir l’assistance et la coopération nécessaires.
« Des pressions diplomatiques sur les pays où vivent des suspects de génocide rwandais afin qu’ils intensifient les efforts pour les appréhender et les poursuivre sont d’une importance capitale », a conclu Géraldine Mattioli-Zeltner. « Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait indiquer clairement qu’ils devront rendre des comptes, où qu’ils se trouvent, et que la justice pour le génocide rwandais ne prend pas fin avec la clôture des travaux du TPIR. »