(Nairobi) – De violents affrontements qui ont éclaté fin novembre 2016 en République centrafricaine entre deux groupes de la Séléka ont fait au moins 14 morts et 76 blessés parmi la population civile, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les groupes armés semblent avoir délibérément pris pour cible cinq des civils tués lors des principaux combats, survenus dans la ville de Bria, dans le centre du pays, entre le 21 et le 23 novembre, et neuf autres au cours des jours suivants. Trois autres civils sont portés disparus et présumés morts.
Ces décès de civils, survenus lors des pires actes de violence commis entre des groupes de la Séléka depuis la scission de celle-ci en 2014, soulignent la nécessité que les troupes de maintien de la paix des Nations Unies déployées en République centrafricaine exercent pleinement leur mandat et utilisent la force pour protéger les civils.
« L'accroissement des violences entre factions de la Séléka dans les régions du centre a de manière prévisible, un grave impact sur les civils », a déclaré Lewis Mudge, chercheur auprès de la division Afrique de Human Rights Watch. « Les Casques bleus de l’ONU devraient anticiper ces incidents et utiliser la force pour protéger ces personnes vulnérables, ainsi que leur mandat les y autorise. »
Environ 485 civils d'ethnie peule qui ont trouvé refuge dans trois enceintes résidentielles à Bria, dont de nombreuses femmes et des enfants, sont terrifiés à l'idée de possibles attaques de représailles car les Peuls constituent la majorité d'une des factions qui s'affrontent. Ces civils ont besoin d'une protection immédiate de la part des près de 250 soldats de maintien de la paix qui sont déjà dans la ville, a affirmé Human Rights Watch.
L'ONU dispose de 12 870 Casques bleus déployés à travers le pays, dont 246 membres armés qui se trouvaient à Bria au moment des combats mais n'ont pas été en mesure de protéger les civils lors de ces violentes hostilités. L'ONU a envoyé des soldats de maintien de la paix supplémentaires dans la ville après les affrontements. Les forces nationales de sécurité, comme la police et les gendarmes, n'ont pas été capables de faire cesser les affrontements et ont sollicité la protection de l'ONU.
L'UPC est composée majoritairement de membres d'ethnie peule et les combats ont entraîné des violences à l'encontre des civils peuls de la part des combattants du FPRC et d'hommes habillés en civil. Le 21 novembre, deux combattants du FPRC ont tué un homme d'affaires local, Nouhou Badem, à son domicile dans le quartier de Mandé II, où des centaines de Peuls avaient cherché refuge.
Les combats ont éclaté aux alentours de l'hôpital de la ville. Vers 8h00 du matin le 21 novembre, des combattants du FPRC qui avaient amené des combattants blessés à l'hôpital s'étaient installés dans l'enceinte de l'établissement, tirant sur des combattants de l'UPC qui avaient pris position à l'extérieur de l'hôpital. A peu près à la même heure, des combattants du FPRC et des hommes en civil ont sorti de l'hôpital deux Peuls blessés, dont l'un était peut-être un combattant, et les ont tués juste devant l'entrée principale.
Les combats ont déplacé jusqu'à 10 000 personnes de Bria, ville d'environ 43 000 habitants. Au moins 7 000 se trouvent dans un camp de fortune à proximité de la base des troupes de maintien de la paix de l'ONU dans la ville, et 2 000 à 3 000 autres sont dans des maisons et des écoles proches du terrain d'aviation. Au camp de fortune, Human Rights Watch a pu observer des conditions de vie sordides qui exigent une réponse humanitaire urgente. Le camp a commencé à recevoir une assistance limitée le 1er décembre.
Les violences se sont également étendues à la périphérie de Bria. Des combattants peuls alliés à l'UPC ont pris pour cible des civils non peuls et, en représailles, des non-peuls armés ont attaqué des civils peuls. Le 26 novembre, des hommes armés de fusils, de machettes et de couteaux ont attaqué neuf Peuls, dont trois femmes et quatre enfants, aux alentours de Golaga, à 10 kilomètres de Bria, tuant cinq d'entre eux. Trois des autres sont portés manquants et présumés morts.
Les chefs de faction ont affirmé à Human Rights Watch que leurs combattants ne s'en prenaient pas aux civils. Toutefois, les deux côtés ont utilisé des termes incendiaires qui pouvaient être perçus comme une approbation d'actes de violence à l'encontre des civils.
Le chef de la branche militaire du FPRC à Bria, le général Azor Khalid, a déclaré qu'il voulait que les Peuls quittent Bria et que ses combattants prévoyaient de déloger l'UPC de sa base de Bambari, à 170 kilomètres à l'ouest, avec l'aide de la population locale, y compris de miliciens anti-balaka. Le chef des affaires politiques de l'UPC à Bria, Moussa Ahmat Alou, a déclaré que ses hommes feraient tout leur possible pour « empêcher un génocide ». Entre le 28 et le 30 novembre, Human Rights Watch a vu des centaines de combattants lourdement armés des deux factions, dont beaucoup étaient habillés en civil, se déplaçant librement dans des zones de la ville qui sont sous leur contrôle respectif.
« La tension est élevée et ce sont les civils qui en payent le prix », a déclaré Lewis Mudge. « La prise pour cible délibérée de civils constitue un crime de guerre. Les commandants du FPRC et de l'UPC devraient savoir qu'ils peuvent être tenus responsables des actes de leurs hommes. »
La République centrafricaine en crise
Des combats font rage en République centrafricaine depuis décembre 2012, lorsque les rebelles majoritairement musulmans de la Séléka, affirmant représenter la minorité musulmane défavorisée du nord-est du pays, ont fait mouvement vers le sud-ouest dans des zones non musulmanes et plus peuplées, tuant des milliers de civils. En 2014, les forces internationales ont chassé la Séléka de la capitale, Bangui. Des divisions ethniques, des rivalités, des désaccords sur le contrôle des ressources et des divergences stratégiques ont rapidement miné la Séléka. À la fin de 2014, elle s'est scindée en plusieurs factions, chacune contrôlant sa propre zone.
Les combattants sont venus de la direction de l'aéroport. Ils sont arrivés devant l'enceinte de la propriété et se sont adressés à Nouhou an arabe. Ils ont dit ‘Ne vous inquiétez pas, nous ne vous ferons pas de mal.’ Mais alors, ils se sont reculés et se sont mis à nous tirer dessus. Cinq personnes ont été atteintes par des balles, dont Nouhou, qui est mort sur le coup. Il avait été touché à la poitrine.
Les habitants peuls de Gobolo ont également été pris pour cible lors des affrontements, notamment une femme âgée de 66 ans qui a raconté avoir été atteinte dans le dos après que son fils, Hamadou Abash, âgé de 40 ans, eut été tué. « Nous étions devant la maison, les combattants arrivaient dans la ville. J'ai entendu un coup de feu et Hamadou est tombé », a-t-elle dit. « Je me suis jetée sur lui pour le protéger et j'ai reçu une balle dans le dos qui m'a traversée. » Human Rights Watch a pu constater ce qui paraissait comme étant des blessures d'entrée et de sortie d'une balle dans le dos et la poitrine de la femme, pour lesquelles elle reçoit des soins médicaux.
Alors que les combats s'intensifiaient aux alentours de l'hôpital, des combattants du FPRC et des hommes en civil ont fait sortir de force de l'hôpital deux Peuls blessés qui y recevaient des soins, dont l'un était peut-être un combattant, et les ont tués devant l'entrée principale. Un Peul blessé qui attendait des soins au même moment et qui a été témoin des meurtres a déclaré :
Nous étions dans l'enceinte de l'hôpital mais pas encore dans les bâtiments. Des hommes sont venus pour nous prendre. Ils étaient déjà dans l'hôpital et étaient vêtus de treillis militaires ou en civil. Ils ont emmené deux hommes, Amadou and Halidou, dehors et les ont tués à coups de fusil et de machettes. Dans la confusion générale, j'ai été emmené dans une autre salle et caché par des membres du personnel hospitalier.
Le long de la route, on nous avait avertis de ne pas nous approcher de Golaga, mais l'un des hommes de notre groupe, Paté, a dit que nous devrions continuer notre chemin. Quand nous sommes entrés dans Golaga, un groupe d'hommes nous a attaqués. Ils étaient au moins 12. J'ai tout de suite reçu une balle dans le bras gauche et je suis tombée à terre. Paté a essayé de m'aider mais je lui ai dit de s'enfuir. Un homme est passé près de moi en courant et m'a tiré une balle dans le bras droit alors que j'étais au sol. Il a couru après Paté. J'ai entendu Paté crier « S'il vous plaît, s'il vous plaît ! Ne me tuez pas ! » et puis je les ai entendus le tuer à coups de machette.
J'ai entendu ma belle-fille, Habiba, qui implorait leur pitié. Elle avait son fils âgé d'un an, Hamidou, avec elle. Je l'ai entendu pleurer. Puis j'ai entendu un coup de feu et les pleurs ont cessé. J'ai aussi entendu ma fille Salamatou pleurer. Elle était avec sa fille de 2 ans, Adama, qui pleurait elle aussi. Et je les ai entendus les tuer à coups de machettes. Je me suis levée et j'ai couru dans le bush, mais je n'ai pas trouvé mes deux petits-fils qui étaient avec moi, Saladin (âgé de 3 ans) et Abou Aziz (7 ans). Je pense qu'ils sont morts aussi. J'ai passé la journée dans le bush, puis je suis revenue à Gobolo.
Le 26 novembre, un homme de 20 ans pêchait avec deux amis dans un ruisseau dans la région de Bria près du village de Kpakaba. Il a déclaré qu'il se reposait un peu à l'écart du ruisseau lorsque trois combattants peuls en uniforme se sont approchés de lui, « L'un d'eux a dit : ‘Si tu cries, nous te tuerons.’ Ils m'ont fait asseoir et l'un d'eux a sorti un couteau et m'a coupé le tendon d'Achille du pied droit. Je ne sais pas pourquoi ils ont fait cela. Je crois qu'ils voulaient s'assurer que je ne puisse pas marcher. Ils se sont contentés de me répéter que si je criais, ils me tueraient. Quand ils ont fini de me couper le tendon, ils sont partis. Maintenant, je peux à peine bouger. » Human Rights Watch a constaté une profonde blessure au-dessus du talon droit de cet homme.
Le 27 novembre, des combattants de l'UPC ont tué par balles un garçon de 17 ans, Jean-Richard Walakouzou, à trois kilomètres de Bria alors qu'il allait à bicyclette voir sa famille, qui se cachait dans les champs à l'extérieur de la ville. Une personne qui l'accompagnait et qui a survécu à l'attaque a déclaré aux autorités et aux membres de la famille de la victime que les combattants avaient abattu Walakouzou sans préavis, de balles dans la poitrine et l'épaule.
Un homme âgé de 35 ans a déclaré qu'un combattant peul avait tiré sur lui le 28 novembre mais l'avait manqué. « Il était entre 8h00 et 9h00 du matin et je terminais mon travail dans les champs », a-t-il dit à Human Rights Watch le jour de l'attaque. « Alors que je coupais du manioc, j'ai vu un Peul en uniforme devant moi. Il n'a rien dit, il a juste tiré sur moi. Je suis tombé au sol, puis j'ai fui. »
Le 29 novembre, des combattants peuls en uniforme ont apparemment tué par balles un homme de 50 ans, Saleh Yousef, un musulman non peul de Bria, à un kilomètre de la ville sur la route de Gobolo près du ruisseau Pimba. Des habitants de Bria ont déclaré avoir vu les combattants quitter les lieux où Yousef, un prospecteur de diamants qui n'était pas armé, a été tué, quelques instants après avoir entendu des coups de feu.
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RFI.fr 05.12.16