(Beyrouth) – Un avocat algérien défenseur des droits humains fait face à des poursuites judiciaires et à une restriction de ses activités, selon toute apparence pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Salah Dabouz, ancien président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH), est poursuivi pour des posts sur Facebook où il critiquait les poursuites engagées contre des membres de la minorité ethnique mozabite dans le pays. Un tribunal lui a également ordonné de se présenter trois fois par semaine aux autorités de Ghardaïa, à 600 km de son domicile d’Alger. Les autorités algériennes devraient abandonner toutes les accusations contre lui qui ne sont basées que sur l’exercice de son droit à la liberté d’expression, et lever la pénible obligation de se présenter à Ghardaïa.
« Les autorités algériennes devraient cesser de se servir de lois répressives et d’ordonnances de contrôle judiciaire paralysantes afin de réduire au silence ceux qui critiquent leur conduite », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
La police d’Alger a arrêté Dabouz le 7 avril 2019 et l’a transféré le même jour à Ghardaïa, où les juges du tribunal de première instance l’ont informé de deux affaires en cours liées à ses publications Facebook. Les juges l'ont mis en liberté provisoire mais placé sous contrôle judiciaire, l’obligeant à se présenter deux fois par semaine au tribunal. Puis en avril, ils ont fait passer l’obligation de présence à trois fois par semaine, a rapporté Dabouz a Human Rights Watch.
Dabouz a indiqué qu’il faisait face à 14 chefs d’inculpation au total. Le dossier de l’affaire comprend une publication Facebook du 28 mars où il exprimait son intention d’informer le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, de ce qu’il appelle la « politique de poursuites judiciaires à motif politique » de la justice de Ghardaïa et notamment de ses mises en examen discriminatoires visant les Mozabites.
Dans son dossier, on trouve également une autre publication Facebook, datée du 13 septembre 2018, où Dabouz s’en prend aux inculpations « bidon » contre les Mozabites et estime que « la justice de Ghardaïa produit des merveilles, d’étranges décisions qui remplissent les prisons d’innocents ». Parmi les chefs d’inculpation invoqués contre Dabouz, on compte la provocation à un attroupement armé, l’outrage à magistrat, l’offense au président de la République, la diffamation des institutions publiques, la tentative de faire pression sur les juges sur des affaires en cours, la formation d’une entente pour préparer des crimes, l’incitation à la haine ou à la discrimination, l’atteinte à l’intégrité du territoire national, la distribution de documents nuisant à l’intérêt national, la diffamation de personnes et la communication de secrets à une partie étrangère, en vertu des articles 100, 144, 144 bis, 146, 147, 176, 295 bis, 79, 96, 296 et 302 du code pénal.
Dans les éléments de preuve qu’a pu consulter Human Rights Watch, rien ne suggère que Dabouz ait incité qui que ce soit à la violence ou à la haine raciale, ou que ses critiques de la justice algérienne constituent une tentative indue de faire pression sur les tribunaux.
Dabouz a confié à Human Rights Watch que l’obligation de se présenter à Ghardaïa imposée par le tribunal en attendant son procès perturbait gravement sa vie personnelle et professionnelle. Aucune date n’a encore été fixée pour le début de son procès.
Par ailleurs, Dabouz fait l’objet d’un troisième procès, fondé sur une mise en examen de 2016. Cette année-là, les autorités l’avaient inculpé juste après sa dénonciation des conditions d’emprisonnement de Kameleddine Fekhar, ancien président de la section de Ghardaïa de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme, et de ses coaccusés, mis en examen pour leur rôle supposé dans les affrontements ethniques qui avaient éclaté dans la région de Ghardaïa entre 2013 et 2015.
Un juge d’instruction avait convoqué Dabouz le 13 juin 2016 pour répondre d’accusations selon lesquelles il aurait insulté les institutions publiques et introduit un ordinateur muni d’une caméra dans la prison de Ghardaïa. Le tribunal l’avait placé sous contrôle judiciaire de juillet 2016 à mars 2017. C’est lors de sa comparution devant le tribunal de première instance de Ghardaïa, le 8 avril 2019, que Dabouz a été notifié qu’il avait été reconnu coupable par contumace et condamné à un an de prison dans cette affaire. Pourtant, selon l’avocat, il n’avait pas été informé du procès. Il a demandé que l’affaire soit entendue à nouveau puisqu’il avait été jugé par contumace. Le procès doit se rouvrir le 21 mai.
Les gouvernements peuvent restreindre la liberté d’expression afin de protéger les tribunaux des influences indues et de préserver l’intégrité, et parfois la confidentialité, des procédures judiciaires. Mais de telles restrictions doivent être définies très précisément par la loi afin de ne pas transformer la moindre critique de la justice ou de ses jugements en infraction passible d’une peine.
Le jeudi 23 avril 2015, la Cour européenne des droits de l’homme a ainsi arrêté, dans l’affaire Morice c. France, que les restrictions que prévoit la Convention européenne des droits de l’homme sur les propos qu’on peut tenir sur les tribunaux ne sauraient être utilisées pour restreindre de façon générale les « critiques à l’égard du fonctionnement de la justice, même dans le contexte d’affaires en cours ». La Cour a jugé qu’un avocat devait « pouvoir attirer l’attention du public sur d’éventuels dysfonctionnements judiciaires ». La volonté de protéger la justice d’attaques infondées « ne saurait avoir pour effet d’interdire aux individus de s’exprimer, par des jugements de valeur reposant sur une base factuelle suffisante, sur des sujets d’intérêt général liés au fonctionnement de la justice ou de prohiber toute critique à l’égard de celle-ci ».
Dans une résolution sur l’Algérie adoptée le 28 avril 2015, le Parlement européen notait le harcèlement croissant du gouvernement envers les activistes des droits humains et exprimait son inquiétude sur les « abus judiciaires employés comme outils pour étouffer la dissidence dans le pays ». Le texte exhortait les autorités algériennes à respecter strictement l’indépendance de la justice et à garantir réellement le droit à un procès équitable, conformément à la Constitution algérienne et aux normes juridiques internationales.
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Dans les médias
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#Algérie : Les autorités devraient mettre fin au harcèlement judiciaire visant l’ex-président de la LADDH Salah Dabouz et respecter son droit à la #libertédexpression, selon HRW. https://t.co/Lu9ngkwSII @hrw @sarahleah1
— HRW en français (@hrw_fr) 7 mai 2019
#Algérie : un avocat critique de la justice dit être inculpé de 14 chefs d'infraction https://t.co/DSBiPgQ64N
— L'Orient-Le Jour (@LOrientLeJour) 7 mai 2019
#Algérie Un avocat algérien, placé sous contrôle judiciaire début avril, a indiqué mardi à l'AFP être inculpé de 14 chefs d'infraction liés à des critiques de la justice sur internet, Human Rights Watch dénonçant un "harcèlement judiciaire" pic.twitter.com/WIvAy8XE25
— Middle East Eye Fr (@MiddleEastEyeFr) 8 mai 2019