Par Candy Ofime, Me Fatimata M’Baye et Me Mohamed Ould Moine
Le 22 juin, les Mauritaniens éliront un nouveau président de la République. Cette transition politique offre à l’actuel chef de l’Etat une opportunité sans précédent de clore le dossier du blogueur Mohamed Ould Cheikh Mkhaïtir, en détention depuis cinq ans pour avoir tenu des propos qualifiés de blasphématoires. Le maintien en détention du blogueur inquiète ses soutiens et témoigne du recul croissant des libertés individuelles en Mauritanie. Le sort de Mkhaïtir, détenu depuis novembre 2017 sans aucun fondement juridique, est désormais entre les mains du président Mohamed Ould Abdel Aziz, seul en mesure d’ordonner sa remise en liberté immédiate.
Le président sortant, arrivé au pouvoir en 2008 par un coup d’Etat et élu deux fois depuis lors, n’est pas candidat à l’élection présidentielle de juin. Tout au long de son dernier mandat, Mohamed Ould Abdel Aziz a salué la fermeté des autorités mauritaniennes sur le dossier de Mkhaïtir et argué que sa libération menacerait la sécurité de ce dernier ainsi que la stabilité du pays. La période entre les résultats définitifs de l’élection et l’investiture du nouveau chef de l’Etat pourrait constituer un moment décisif pour ordonner la libération du blogueur.
Aycha Mkhaïtir n’a qu’une chose à demander au président Aziz : la libération immédiate de son frère, dont la santé se détériore de jour en jour. Aycha est claire : « Nous ne faisons que demander le respect des droits de Mohamed, le temps est compté ! »
Une nouvelle loi sur l’apostasie
En décembre 2013, Mkhaïtir avait publié un article en ligne qui dénonçait la justification religieuse apportée au maintien du système de castes en Mauritanie, que certains Mauritaniens légitimeraient – à tort, selon le blogueur – en s’appuyant sur des exemples de la vie du prophète Mohammed. Mkhaïtir appartient lui-même à la caste marginalisée des forgerons. Quelques jours après sa prise de position, le blogueur est arrêté et inculpé d’apostasie.
En décembre 2014, après un an de détention préventive, Mkhaïtir est condamné à mort pour apostasie et outrage au prophète Mohammed. Depuis lors, ses avocats mènent une bataille juridique presque perdue d’avance. En 2016, les juges du fond ont d’abord réduit les chefs d’accusation d’apostasie (« zendagha ») à mécréance (« ridda »), tout en maintenant la peine de mort. Ses avocats décident alors d’introduire un pourvoi en cassation. Lorsque la Cour suprême se prononce sur l’affaire, en janvier 2017, la séance est prise d’assaut par des milliers de manifestants demandant l’exécution du blogueur. La Cour suprême casse alors la décision rendue en appel et renvoie le dossier devant un nouveau panel de juges.
En novembre 2017, la cour d’appel de Nouadhibou réduit finalement la peine de Mkhaïtir à deux ans de prison et à une amende, pour mécréance. Ses avocats sont alors convaincus qu’au sortir de l’audience, Mkhaïtir sera remis en liberté et conduit en lieu sûr, sous le regard attentif des observateurs internationaux. Au lieu de cela, les proches et représentants de Mkhaïtir sont restés des mois sans nouvelles du jeune homme. Le gouvernement mauritanien a pour sa part adopté une nouvelle loi sur l’apostasie rendant la peine de mort obligatoire en cas de « propos blasphématoires » et d’« actes sacrilèges », sans possibilité de réduire la peine en cas de repentance de l’accusé. Bien que la peine de mort continue d’apparaître dans les textes de loi mauritaniens, elle n’a pas été appliquée depuis la fin des années 1990.
Diabolisation et stigmatisation
Mkhaïtir est maintenu en détention de manière arbitraire et injustifiée depuis le 9 novembre 2017, dans un lieu secret. Ses avocats n’ont obtenu aucun droit de visite depuis la date qui aurait dû être celle de sa remise en liberté. Ses frères et sœurs craignent que son état de santé ne se dégrade davantage. « Mohamed n’est pas autorisé à sortir de la pièce dans laquelle il est enfermé, il n’interagit qu’avec les gardes qui lui apportent à manger et qui sont cagoulés »,déplore Aycha, qui reconnaît que son frère est muni d’un téléphone portable par lequel il communique avec sa famille. L’inquiétude est grande, tant pour la santé psychologique que physique du jeune homme. Mkhaïtir serait atteint d’un glaucome risquant de le rendre aveugle si les autorités mauritaniennes continuent d’entraver l’accès aux soins médicaux que nécessite son état.
Depuis le début des poursuites, les autorités mauritaniennes jouent la carte de la « sécurité » et laissent entendre à leurs alliés occidentaux qu’une libération risquerait de provoquer le soulèvement de radicaux religieux. Selon des propos récents du ministre de la justice sur l’affaire, Mkhaïtir serait actuellement en détention administrative. Ses soutiens rapportent que sa diabolisation pèse également sur sa famille, dont le nom suscite aujourd’hui la stigmatisation.
La famille et les soutiens de Mkhaïtir s’accordent à dire que le président Aziz a politisé ce dossier et doit désormais ordonner la libération du blogueur avant l’investiture de son successeur. La Mauritanie, plus stable sur le plan sécuritaire que ses voisins sahéliens, n’a aucune excuse pour la violation des principes des droits humains. Ses partenaires internationaux doivent rompre le silence sur ce dossier et inciter le chef de l’Etat mauritanien à libérer Mkhaïtir avant la fin de son mandat.
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Son mandat arrivant à terme, Président #Mauritanie Abdel Aziz devrait libérer blogueur Mkhaitir, initialement condamné à mort pour "blasphème" et, depuis 2017, détenu sans base juridique, en isolement alors que sa santé se dégrade. https://t.co/XlBOF68EtW pic.twitter.com/swR2hVQoos
— Eric Goldstein (@goldsteinricky) 31 mai 2019