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RD Congo : Il faut rouvrir le dossier Chebeya-Bazana

De nouvelles pistes à examiner dans le meurtre des défenseurs des droits humains de 2010

Un homme portant un T-shirt avec les portraits de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana assiste au procès le 30 avril 2013 à Kinshasa des policiers accusés d’avoir tué les deux hommes en 2010. © 2013 Junior D. Kannah/AFP via Getty Images

(Kinshasa) – Le gouvernement de la République démocratique du Congo devrait rouvrir son enquête sur le double meurtre, commis en 2010, de l’éminent défenseur des droits humains, Floribert Chebeya, et de son chauffeur, Fidèle Bazana, suite aux nouvelles révélations sur cette affaire. Etant donné les allégations rapportées par des médias internationaux, selon lesquelles ces meurtres ont été commis sur ordre du chef de la police de l’époque, le général John Numbi, Human Rights Watch a appelé à la réouverture d’une enquête crédible, impartiale et indépendante.

Le 8 février 2021, dans des entretiens avec Radio France Internationale (RFI) et Deutsche Welle, deux policiers congolais en exil ont admis avoir participé aux meurtres de Chebeya et Bazana dans l’enceinte de l’inspection générale de la police, le 1er juin 2010, et en ont fourni un récit détaillé. Lors d’une rencontre en avril 2019, le président congolais, Félix Tshisekedi, a personnellement assuré la femme de Chebeya et les organisations de défense des droits humains qu’il était déterminé à mener une enquête impartiale sur ces meurtres.

« Le président Tshisekedi devrait passer des paroles aux actes et accomplir sa promesse d’enquêter sur le meurtre de Chebeya », a déclaré Thomas Fessy, chercheur principal pour la RD Congo à Human Rights Watch. « Les dernières révélations démontrent la nécessité d’une nouvelle enquête et représentent la meilleure chance de voir la justice enfin rendue. »

Le 1er juin 2010, Chebeya a été convoqué par téléphone à une réunion dans le bureau du général Numbi. Le lendemain, la police a déclaré que Chebeya avait été retrouvé mort dans sa voiture, dans le quartier de Mont Ngafula à Kinshasa, la capitale. Le corps de son chauffeur, Bazana, n’a jamais été retrouvé.

S’exprimant sur les ondes de RFI et de la Deutsche Welle depuis un lieu non précisé à l’étranger, deux anciens chauffeurs de la police, Hergil Ilunga et Alain Kayeye, ont révélé certains détails du plan visant à tuer Chebeya et sur sa mise en œuvre. Selon leurs témoignages, des policiers auraient étouffé Chebeya et Bazana, l’un après l’autre et dans deux véhicules de la police, au quartier général de la police.

Ils ont admis avoir participé aux meurtres et les avoir dissimulés sur ordres du colonel Daniel Mukalay, alors chef des renseignements généraux de la police, et de Christian Ngoy, commandant à l’époque du redouté bataillon Simba. Les deux anciens chauffeurs ont affirmé que ces deux officiers supérieurs agissaient sur les instructions de Numbi.

Selon Kayeye, Bazana aurait été enterré dans une parcelle privée appartenant au commandant de la police militaire de Kinshasa à l’époque, le colonel Zelwa Katanga, qui a depuis été promu au grade de général. Katanga a démenti ces allégations, dans un entretien avec RFI.

Ilunga et Kayeye ont affirmé qu’ils seraient prêts à faire face à la justice si leur sécurité était garantie. Ils ont précisé qu’ils avaient fui la RD Congo fin 2020 car ils craignaient pour leur vie, Numbi étant prétendument à leur recherche pour les éliminer.

Chebeya était directeur de l’une des organisations de défense des droits humains les plus importantes et les plus respectées en RD Congo, la Voix des Sans Voix, basée à Kinshasa. Il était parmi les plus ardents défenseurs des droits humains congolais, exposant régulièrement les exactions commises par les services de sécurité et les gouvernements successifs du pays, et ce, depuis de nombreuses années. Il avait à maintes reprises été menacé et fait l’objet d’intimidations de la part des autorités congolaises, à cause de son travail.

À l’issue d’un procès devant un tribunal militaire qui a suscité de nombreuses critiques – un premier verdict a été rendu en juin 2011 et une décision en appel en septembre 2015 – quatre officiers de police ont été déclarés coupables des meurtres de Chebeya et Bazana. Ngoy, Paul Mwilambwe et Jacques Mugabo ont été jugés par contumace et condamnés à mort. Mukalay, le plus haut gradé des officiers jugés, a été condamné à 15 ans de prison et il purge actuellement sa peine à la prison centrale de Kinshasa. Le tribunal militaire a également reconnu la responsabilité civile du gouvernement congolais et lui a ordonné de verser des dommages aux familles des deux victimes.

Au début du procès en novembre 2010, Numbi, alors inspecteur général de la police, a été présenté au tribunal comme simple témoin bien qu’il soit déjà soupçonné d’être à l’origine de ces deux meurtres. En 2014, un des accusés en fuite, Mwilambwe, a refait surface au Sénégal, d’où il a accusé Numbi d’avoir orchestré le double assassinat. Les autorités sénégalaises ont ouvert une enquête et Mwilambwe a été inculpé en janvier 2015. Mais cette procédure est actuellement au point mort et l’enquête se poursuit. Considéré comme un témoin clé, Mwilambwe a depuis quitté le Sénégal pour la Belgique et a également affirmé qu’il serait prêt à comparaître devant la justice.

Le 3 septembre 2020, Ngoy a été arrêté à Lubumbashi et immédiatement transféré à la prison militaire de Ndolo à Kinshasa, pour détention d’armes de guerre. À la suite de cette arrestation, les organisations congolaises de défense des droits humains ont appelé les autorités à rouvrir le dossier Chebeya.

Avant son assassinat, Chebeya enquêtait sur le recours à la force létale par la police sous le commandement de Numbi. Suite au tollé international provoqué par sa disparition, Numbi a été suspendu le 5 juin 2010 mais n’a jamais fait l’objet d’une enquête ou de poursuites judiciaires. Les États-Unis et l’Union européenne lui ont infligé des sanctions en décembre 2016 pour son rôle dans les actes de répression politique du gouvernement. Toutefois, en 2018, Joseph Kabila, encore président, l’a promu au plus haut grade militaire, celui d’inspecteur général de l’armée. En juillet 2019, sous la présidence de Tshisekedi, il a été déchu de ce poste.

Le 9 février 2021, Annie Chebeya, la femme de Floribert Chebeya, a déclaré sur les ondes de RFI : « La vérité que moi et les enfants, qu’on attendait toujours, la vérité qu’on cherchait pour qu’on puisse connaître ce qui s’est passé réellement… aujourd’hui, nous venons d’écouter cela… Je demande à la justice congolaise qu’on puisse reprendre le procès à zéro. »

Réagissant à ces nouvelles révélations, plus de 100 organisations congolaises de défense des droits humains ont appelé à l’arrestation immédiate du général Numbi et à la réouverture du dossier Chebeya. Les ambassadeurs en RD Congo de l’UE, de Belgique et des États-Unis ont également tous publiquement approuvé le besoin de relancer la procédure. Le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme s’est déclaré « disponible à assister la justice pour faire la lumière sur l’assassinat ignoble de Chebeya et Bazana. »

« Les familles Chebeya et Bazana attendent toujours de connaitre la vérité complète et d’obtenir justice pour les assassinats de leurs proches », a déclaré Fessy. « Avec ces nouvelles révélations, le gouvernement congolais se doit d’agir. La justice devrait mettre en place les conditions de sécurité nécessaires pour entendre les personnes prêtes à témoigner, tandis que le général Numbi et d’autres responsables de haut rang impliqués dans les meurtres devraient faire l’objet d’une enquête approfondie et impartiale. »

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