(Kinshasa) – Des violences communautaires perpétrées entre juin 2022 et mars 2023 dans le territoire de Kwamouth, dans l’ouest de la République démocratique du Congo, ont fait au moins 300 morts lors de cycles d’attaques et de représailles, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le gouvernement devrait traiter de toute urgence les litiges de longue date liés au pouvoir coutumier et aux droits fonciers afin d’éviter la récurrence de telles violences.
Des villageois issus de communautés majoritairement Teke et Yaka, toutes deux impliquées dans un litige lié à une redevance coutumière et à l’accès à la terre, ont endommagé, détruit, pillé et brûlé des centaines de maisons ainsi que des écoles et des centres de santé. Certains membres des forces de sécurité congolaises déployées pour endiguer les violences auraient commis des exactions, notamment des exécutions extrajudiciaires, des pillages et des violences sexuelles. Le gouvernement n’a pas renforcé les effectifs des forces de sécurité provinciales, pourtant débordées, avant le mois de septembre, et n’a pas fourni une aide adéquate aux plus de 50 000 personnes déplacées par les violences. Les autorités devraient mener une enquête complète et impartiale sur les tueries, traduire les responsables en justice et faciliter l’accès à l’aide humanitaire pour ceux qui en ont besoin.
« Les autorités congolaises devraient prendre d’urgence les mesures nécessaires pour protéger les civils dans l’ouest du pays contre de nouvelles attaques et faire respecter l’état de droit », a déclaré Thomas Fessy, chercheur principal sur la République démocratique du Congo à Human Rights Watch. « Il est crucial de traduire en justice les responsables des violences meurtrières à Kwamouth et de répondre aux griefs sous-jacents. »
Les conclusions de Human Rights Watch s’appuient sur des missions de recherche dans les villes de Bandundu et Maluku, menées respectivement en novembre et en décembre, ainsi que sur des entretiens conduits en personne et par téléphone à Kinshasa. Human Rights Watch s’est entretenu avec 70 personnes, parmi lesquelles 31 survivants et témoins des attaques, des proches des victimes, des responsables judiciaires, des avocats, des travailleurs humanitaires, des activistes de la société civile, des chefs religieux, des députés provinciaux et nationaux, des membres des forces de sécurité et du personnel des Nations Unies, ainsi que des responsables provinciaux et nationaux.
Historiquement, les Teke possèdent une grande partie des terres et titres coutumiers du territoire de Kwamouth situé dans la province occidentale de Mai-Ndombe. Ce territoire fait partie du plateau des Bateke (littéralement « le plateau des Teke ») qui s’étend au sud jusqu’à la périphérie de Kinshasa, la capitale du pays. Au fil des ans, des membres des communautés Yaka, Mbala, Suku et d’autres communautés issues des provinces voisines du Kwilu et du Kwango ont constitué une main-d’œuvre agricole dans le territoire de Kwamouth, ou sont devenus fermiers en contrepartie du paiement d’une redevance coutumière, dont s’acquittaient également les agriculteurs teke, et perçue sous forme de biens par les chefs coutumiers teke.
Les tensions étaient palpables au sujet de cette taxe coutumière tout au long de l’année 2021 mais ont culminé en février 2022 quand les chefs teke ont annoncé une augmentation de son montant, à laquelle de nombreux fermiers se sont opposée. Human Rights Watch a reçu des informations crédibles selon lesquelles les chefs teke ont ensuite tenté de prélever la redevance de force. Le 9 juin, un groupe de fermiers, principalement issus des communautés Yaka et Mbala, s’est rassemblé devant la maison d’un chef teke dans le village de Masia Mbe en signe de protestation et aurait jeté des pierres sur le bâtiment. Le frère du chef a ouvert le feu avec un fusil de chasse et tué l’un des fermiers. Le lendemain, des dizaines de villageois, principalement yaka, ont pris d’assaut Masia Mbe, incendiant des maisons et pillant le village.
Les jours qui ont suivi, une série d’attaques meurtrières et de représailles ont forcé plusieurs milliers de personnes à fuir leurs maisons. Dès la fin du mois de juin, des membres de la communauté Yaka se sont organisés en groupes, appelés « Mobondo » en référence à des fétiches. Armés de machettes, de couteaux, de lances, d’arcs et de flèches, de fusils de chasse et de quelques fusils d’assaut militaires, ils ont attaqué et tué des dizaines de villageois teke, selon plusieurs témoins. Ils ont mené des raids sur plusieurs villages et en ont incendié des maisons. En Octobre, l’Église catholique a indiqué dans un rapport que les assaillants avaient alors cessé de protester contre la redevance coutumière mais qu’ils cherchaient à « [récupérer] les terres du plateau des Bateke ». À partir du mois de septembre, la violence s’est étendue à la province voisine du Kwilu et, en octobre, elle a atteint la périphérie de Kinshasa.
Certains villageois teke ont pris part à l’éruption initiale des violences, ciblant les Yaka ainsi que leurs magasins et leurs maisons. Toutefois, les assaillants Mobondo ont rapidement pris le dessus. Plusieurs survivants et témoins ont déclaré que les assaillants rassemblaient les villageois et leur demandaient d’indiquer à quel groupe ethnique ils appartenaient, et qu’ils ciblaient les Teke et ceux qui étaient perçus comme ayant des liens avec eux.
Une femme de 30 ans qui a survécu à l’attaque du village de Fadiaka en septembre a déclaré que de nombreux assaillants s’étaient peint le visage en noir et avaient des bandes rouges autour de la tête. Elle a indiqué qu’ils s’étaient d’abord rendus à la maison du chef [teke] et l’avaient abattu à l’arme à feu. « [Un assaillant connu sous le nom d’]Américain est venu lui couper la tête. Ils ont brûlé son corps avec un vieux pneu ; ils ont pris sa tête et sont partis avec ».
Les forces de sécurité congolaises ont finalement procédé à des arrestations. Le tribunal militaire a jugé au moins 115 personnes accusées d’actes de terrorisme, de meurtres, d’incendies criminels, d’association de malfaiteurs, de possession illégale de matériel militaire et de pillage. De sources judiciaires, près de 300 autres personnes étaient en détention et faisaient l’objet d’une enquête en rapport avec les violences, au moment de la publication de ce rapport.
Quatre membres des forces de sécurité congolaises ont été condamnés à mort pour l’exécution extrajudiciaire d’assaillants capturés, et huit autres ont été condamnés à des peines allant jusqu’à 20 ans de prison pour des exactions commises au cours d’opérations menées en réponse aux violences de Kwamouth. Quarante-un autres soldats et policiers ont été placés en détention et font l’objet d’une enquête.
Le 15 novembre, la police nationale congolaise a émis un avis de recherche pour insurrection contre six hommes soupçonnés de compter parmi les principaux instigateurs des violences. Cependant, le gouvernement a depuis désigné certains d’entre eux comme médiateurs entre les communautés. Depuis le mois de décembre, des centaines de Mobondo qui s’étaient rendus ont été transférés dans des centres d’enrôlement et de formation de l’armée, sans que leur participation éventuelle à des exactions n’ait été dûment vérifiée.
Human Rights Watch a précédemment documenté les massacres communautaires de Yumbi de 2018, également perpétrés dans la province de Mai-Ndombe et liés au pouvoir coutumier, au cours desquels au moins 535 personnes ont été tuées. Le procès des massacres de Yumbi a débuté en 2021 mais peine à progresser. Les tueries commises à Kwamouth et dans les environs soulignent à quel point l’impunité dont jouissent les auteurs de crimes graves continue d’alimenter la violence dans la région occidentale de la RD Congo.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme devrait enquêter sur les tueries, ainsi que sur les autres abus présumés, et soutenir le gouvernement congolais en lui apportant un appui technique, notamment médico-légal. Le procureur militaire devrait transférer devant les tribunaux civils les dossiers qui les concernent, conformément aux recommandations du Comité des droits de l’homme des Nations Unies selon lesquelles les civils ne devraient être jugés par des tribunaux militaires que dans des circonstances exceptionnelles et uniquement dans des conditions qui garantissent véritablement une procédure régulière.
Le gouvernement congolais devrait développer une stratégie à long terme pour renforcer la sécurité dans le territoire de Kwamouth et autour de celui-ci. Le gouvernement, avec l’aide internationale, devrait fournir l’aide humanitaire, les soins de santé ainsi que le soutien psychosocial et à la santé mentale nécessaires aux personnes qui en ont besoin. Le gouvernement devrait solliciter une aide internationale pour réparer et reconstruire les habitations ainsi que les écoles et centres de santé en vue de faciliter le retour volontaire et en toute sécurité des personnes déplacées.
« La réponse du gouvernement congolais à la crise du Kwamouth, qui dure depuis des mois, est totalement inadéquate », a déclaré Thomas Fessy. « L’absence de solutions significatives et durables s’agissant des redevances coutumières, du régime foncier et de l’obligation de rendre des comptes pour les atrocités passées exposent les communautés à des cycles de violence et de représailles encore plus meurtriers. »
Pour plus de détails et de témoignages, voir ci-dessous.
Violences liées aux droits fonciers coutumiers
Kwamouth est l’un des huit territoires administratifs de la province de Mai-Ndombe, dans l’ouest de la République démocratique du Congo. Le territoire est délimité par le fleuve Congo, qui constitue la frontière commune avec la République du Congo (Congo-Brazzaville) et s’étend jusqu’à la périphérie de Kinshasa au sud.
Si le Mai-Ndombe a généralement été en paix ces dernières décennies, d’anciens griefs entre différents groupes ethniques de la région ont occasionnellement déclenché des affrontements violents autour de l’accès à la terre, du pouvoir coutumier et des démarcations administratives issues de l’époque coloniale. Avant les violences de 2022-2023, les violences meurtrières les plus récentes dues à de telles rivalités ont été perpétrées en 2018 à Yumbi, plus au nord le long du fleuve.
Des conflits d’ordre foncier et coutumier ont émergé entre les communautés dites « originaires » et « non-originaires ». Suite aux tensions accrues tout au long de l’année 2021 entre chefs communautaires au sujet des redevances coutumières que les chefs teke dits « originaires » réclament aux fermiers, le litige a pris une tournure violente en juin 2022.
Plusieurs sources ont rapporté à Human Rights Watch que peu de temps après que les chefs teke ont annoncé une augmentation de la redevance foncière prélevée auprès des fermiers, une fausse lettre, attribuée au chef de cabinet du ministère congolais de l’Intérieur et prétendument diffusée par des agents du bureau local de l’Agence nationale de renseignements (ANR) a bloqué l’augmentation de cette taxe. Des agriculteurs principalement issus de la communauté Yaka ont utilisé cette lettre pour rejeter la hausse du montant de la redevance.
Les violences ont commencé le 9 juin lorsque des fermiers ont porté le litige au domicile d’un chef teke à Masia Mbe. L’un des fermiers a été tué et, le lendemain, des membres issus de la communauté Yaka ont commencé à attaquer les villages teke selon divers responsables, chefs d’église et habitants déplacés.
Tueries, pillages et autres exactions
Le nombre de villages attaqués depuis le début des violences est difficile à déterminer. Au moins 43 villages majoritairement teke ont été attaqués entre juin 2022 et début mars 2023 dans les provinces de Mai-Ndombe, du Kwilu et de Kinshasa. Dans un premier temps, certains villageois teke ont tenté de défendre leurs communautés ou ont pris pour cible des maisons et des magasins appartenant à des Yaka ou à d’autres ethnies non teke, tuant plusieurs personnes. Cependant, les Teke se sont rapidement retrouvés soit en infériorité numérique ou ont été incapables de repousser les groupes de dizaines d’assaillants munis d’armes rudimentaires et d’armes à feu. Ces groupes d’assaillants, principalement issus des communautés Yaka, Suku et autres, ont formé un mouvement appelé « Mobondo », en référence à leurs fétiches protecteurs.
Plusieurs villageois et responsables ont déclaré que les groupes avertissaient souvent, par écrit, les habitants d’un assaut imminent, ce qui incitait de nombreux villageois à s’enfuir à l’avance. Les assaillants pillaient, détruisaient et brûlaient alors les maisons et les infrastructures et s’en prenaient à ceux qui restaient sur place. Ils érigeaient des barrages sur les routes principales.
Plusieurs témoins de différents villages ont déclaré que les assaillants attaquaient d’abord les chefs coutumiers, espérant que le fait de les tuer empêche toute résistance. Un jeune teke de 19 ans, déplacé à Bandundu suite à l’attaque de son village, Bisiala, le 20 septembre, a déclaré avoir vu des assaillants entrer dans le village à la recherche du chef. Cependant, « ils ont constaté que le chef n’était pas là, c’est alors qu’ils ont commencé à tuer les gens qu’ils trouvaient. Ils incendiaient aussi les maisons... Nous ne nous sommes pas battus avec eux parce qu’ils étaient plus forts que nous ».
Un prêtre a déclaré s’être rendu à Bisiala deux jours après l’attaque pour enterrer son cousin et sa fille, qui ont tous les deux étés tués devant leur maison. Il a déclaré avoir personnellement compté 53 corps et aidé à enterrer 7 enfants – 4 garçons et 3 filles – dans la même tombe que ses proches. « Des militaires venus de Kinshasa sont venus chercher des volontaires pour enterrer les cadavres », raconte-t-il. « Moi, j’ai fait la prière pour les morts. » Human Rights Watch n’a pas été en mesure de corroborer de manière indépendante le nombre de morts, mais quatre autres personnes déplacées de Bisiala ont déclaré que des dizaines de personnes avaient été tuées au cours du raid.
Un homme teke de 27 ans, déplacé à Maluku avec ses deux enfants, a déclaré qu’un jour d’août, des habitants de son village, Bokete, ont trouvé un morceau de papier sur lequel était écrit : « Sortez car ce soir on viendra vous tuer ». Quelques heures plus tard, sa femme, de l’ethnie Mbala, a été retrouvée morte près de la rivière, la gorge tranchée. « Je sais que c’est à cause de moi qu’ils l’ont tuée, parce qu’elle était mariée à un Teke », a déclaré l’homme. « On ne sait pas comprendre ce qu’il s’est passé car on vit ensemble, on s’est marié entre Teke et Yaka. »
Un commerçant de 49 ans qui appartient à l’ethnie Yansi perçue comme ayant des liens avec les Teke, a déclaré qu’un groupe d’assaillants yaka avait tendu une embuscade à son camion sur la route de Bandundu le 3 septembre :
Ils nous ont demandé de descendre du camion et de se présenter en parlant sa langue maternelle pour prouver sa tribu [d’origine]. Quand j’ai dit que j’étais Yansi, ils m’ont répondu : « C’est vous les Yansi que nous recherchons, vous les Yansi les alliés des Teke ». Ils ont dit qu’ils ont besoin de faire couler mon sang... L’un d’eux m’a frappé avec sa machette à ma jambe. Ils nous ont ordonné de nous coucher face à terre afin de nous abattre. J’avais très peur parce que je me disais que j’allais mourir dans un instant. Je leur ai dit que je voulais acheter mon sang avec les 300 000 francs congolais (150 dollars des États-Unis) que j’avais. Ils m’ont dit de me relever et d’aller leur donner cet argent. C’est comme cela qu’ils m’ont relâché, ils ont aussi relâché le convoyeur du camion. [De retour] sur la route, nous avons croisé trois cadavres.
D’autres survivants et témoins ont raconté que, de la même manière, on leur avait non seulement demandé de confirmer leur groupe ethnique, mais aussi de le prouver en parlant la langue correspondante.
Un membre de la communauté Yansi a déclaré avoir échappé à un groupe d’assaillants qui a attaqué le village de Liduma le 2 septembre. Sa maison a été incendiée et il s’est caché dans la brousse pendant trois semaines. « [Un groupe de] Yaka est venu me trouver et m’a accusé de faire les armes pour les habitants de Liduma parce que je suis forgeron… c’est d’autres qui m’ont défendu et ils m’ont laissé sans rien me faire », a-t-il déclaré. « Ils avaient des flèches et des fusils de chasse. Ils forçaient les gens d’entrer dans leur groupe. Si tu refuses, ils te tuent mais si tu acceptes ils vont t’initier à leur milice avec leurs fétiches. »
Un haut responsable judiciaire a déclaré qu’au moins 288 corps avaient été retrouvés et enterrés jusqu’à présent, mais a averti que le nombre de morts était très probablement plus élevé étant donné que certaines zones n’avaient pas encore été atteintes. Le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme à Kinshasa a déclaré en février qu’il avait « reçu des allégations crédibles » selon lesquelles 322 personnes avaient été tuées, dont 53 victimes d’exécutions extrajudiciaires perpétrées par les forces de sécurité gouvernementales.
Déplacements et aide inadéquate
Les autorités provinciales ont indiqué que plus de 50 000 personnes étaient déplacées internes par les violences à la fin du mois de décembre, et que 20 000 autres étaient déjà rentrées chez elles. La plupart ont fui à l’intérieur des provinces de Mai-Ndombe et du Kwilu, ou vers les provinces voisines de Kwango et de Kinshasa. Selon l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, environ 2 600 réfugiés avaient franchi la frontière avec le la République du Congo à la fin du mois d’octobre.
« Les chiffres [des déplacements] sont probablement sous-estimés car il est difficile de savoir exactement combien de personnes sont déplacées », a déclaré une source onusienne.
De nombreuses familles ont été séparées alors qu’elles fuyaient les violences, et certaines ont perdu un ou plusieurs membres. Certains se seraient noyés dans le fleuve. Un homme de 65 ans déplacé à Maluku, près de Kinshasa, a déclaré avoir perdu la trace de sa femme et de ses huit enfants alors qu’il tentait d’atteindre une barge sur le fleuve Congo. « C’était vraiment comme une bataille pour y arriver, et nous nous sommes perdus de vue », a-t-il déclaré. « Je pensais que derrière moi ils étaient entrés [sur la barge], mais je ne les ai plus revus. »
« Les conséquences humanitaires ont été volontairement minimisées [par le gouvernement], et il y a eu très peu d’assistance », a déclaré un travailleur humanitaire. La source onusienne a déclaré que les agences d’aide humanitaire étaient débordées par les opérations dans l’est de la RD Congo et que « cela a pris du temps pour se mobiliser et commencer les distributions – l’aide a vraiment commencé en novembre ». Les autorités congolaises affirment avoir fourni de la nourriture, des médicaments, des tissus, des matelas, des seaux et des ustensiles de cuisine aux personnes déplacées.
Plusieurs personnes déplacées, des travailleurs humanitaires et un responsable provincial ont déclaré qu’en octobre, le gouvernement avait donné 200 000 francs congolais (100 dollars des États-Unis) à chaque ménage du camp de Malebo – qui accueillait à l’époque près de 2500 personnes – les exhortant à rentrer chez eux dans le but de fermer le camp malgré l’insécurité qui régnait dans les zones qu’ils avaient fuies. « C’était une expulsion masquée [...] c’est vraiment inhumain le type de traitement réservé aux déplacés ici », a déclaré le responsable provincial. « Certains sont partis, mais [plusieurs centaines de personnes] sont restées autour, ne sachant pas où aller... Ils ont fini par revenir de force dans [le camp] quelques jours plus tard ». Un travailleur humanitaire a mis l’accent sur les risques persistants en matière de sécurité dans les régions d’origine des personnes déplacées : « Il y a eu tellement de destructions et de maisons brûlées ; quels vont être les signaux que les déplacés vont considérer comme valides pour rentrer ? »
Lorsque Human Rights Watch s’est rendu dans la ville de Bandundu en novembre, les personnes déplacées étaient hébergées dans des familles d’accueil ou au marché de Malebo, qui avait été transformé en un camp que le gouvernement avait tenté de fermer en octobre. Les personnes déplacées y dormaient à même le sol dans des entrepôts et se plaignaient de n’avoir reçu aucune assistance. « On ne nous a pas donné de nourriture, nous n’avons pas de ration, aucune solution n’a été trouvée pour nous, nous souffrons », a déclaré un père de 7 enfants, âgé de 49 ans, qui est arrivé au camp de Malebo en octobre. « Nos enfants tombent souvent malades parce qu’il y a beaucoup de moustiques – nous passons la nuit tel que vous nous voyez. Où êtes-vous le gouvernement ? »
Les travailleurs humanitaires ont également mis en garde contre les « blessures invisibles » telles que les traumatismes. Un psychologue de Médecins Sans Frontières, Joel-Christopher Bolombo, qui a prodigué des soins de santé mentale aux personnes déplacées à Kwamouth, a déclaré que « certains patients font des cauchemars, développent une méfiance qu’ils n’avaient pas auparavant à l’égard d’autres communautés, montrent des signes de dépression ou ressentent de la culpabilité ».
Les attaques du mois de mars ont provoqué de nouveaux déplacements.
En vertu de la Convention de Kampala de l’Union africaine sur les personnes déplacées en Afrique, que la RD Congo a ratifiée, les gouvernements sont tenus de consulter les personnes déplacées et d’assurer leur participation à la planification et à la gestion de leur retour, de leur réinstallation ou de leur intégration. Ces personnes ne doivent jamais être exposées au « retour forcé ou à la réinstallation dans un lieu où leur vie, leur sécurité, leur liberté et/ou leur santé seraient à risque ». Conformément à la convention, le gouvernement congolais doit également fournir aux personnes déplacées « l’alimentation, l’eau, l’abri, les soins médicaux et autres services de santé, l’assainissement, l’éducation et tous autres services sociaux nécessaires ».
Les autorités devraient fournir aux personnes déplacées et aux autres survivants une assistance pour reconstruire leur vie, notamment des soins médicaux et un soutien psychologique et social, a déclaré Human Rights Watch.
Abus commis par les forces de sécurité congolaises
La vingtaine de soldats congolais affectés à la province de Mai-Ndombe ont été les premiers à être déployés en réponse à la vague de violence, mais ils ont rapidement été dépassés par l’ampleur des attaques. Alors que le gouvernement congolais a envoyé des renforts en septembre, certains membres des forces de sécurité auraient commis des abus dans les zones où elles opéraient.
Un haut responsable judiciaire a déclaré qu’au moins 53 membres des forces de sécurité faisaient l’objet d’une enquête, étaient poursuivis ou avaient déjà été condamnés pour des crimes commis pendant de telles opérations, notamment des exécutions extrajudiciaires d’assaillants capturés, des pillages, des incendies criminels et des violences sexuelles.
Le nombre total de détenus exécutés sommairement par l’armée et la police congolaises n’est pas connu. Une source militaire a déclaré qu’un capitaine de l’armée aurait tué au moins 12 détenus quelque part entre Mbomo et Salongo en octobre. « Il les acheminait à l’état-major à Masia-Mbio », a déclaré une source. « Ayant vu que les assaillant avaient tué des militaires à Engwene, lui-même a pris son arme et les a tous tués ». Un homme déplacé à Kinshasa a déclaré que « les assaillants avaient pillé [le village d’] Engwene, où ils y avaient même tué des militaires…. Les militaires étaient vraiment très en colère et ne faisaient plus confiance à aucune tribu. Ils ont tué beaucoup de gens ».
Le 6 février, Patrick Muyaya, ministre congolais de la Communication et porte-parole du gouvernement, a déclaré lors d’une conférence de presse à Kinshasa que « certains militaires s’étaient mal comportés sur le terrain pour lesquels l’auditorat avait déjà ouvert une procédure ».
Un soldat a été condamné à 20 ans de prison pour avoir violé une assaillante capturée, a déclaré le haut responsable judiciaire. Quatre autres ont été condamnés à mort pour des exécutions extrajudiciaires de prisonniers. Human Rights Watch s’oppose à la peine de mort en toutes circonstances en raison de la cruauté inhérente de cette pratique – la RD Congo ayant signé un moratoire sur la peine de mort, les condamnés à mort purgeront des peines de prison à vie.
Instigateurs présumés de la violence et réponse du gouvernement
Le gouvernement congolais n’a envoyé sa première délégation dans le territoire de Kwamouth que fin août, deux mois après les premières attaques meurtrières et après de nombreux mois de tensions larvées dans la province suite aux violences communautaires de 2018. « Kinshasa a réagi en retard si je peux le dire », a ainsi déclaré un responsable du territoire de Kwamouth, notant que des renforts militaires n’avaient été envoyés qu’en septembre.
L’ampleur des attaques et le mode opératoire des groupes Mobondo témoignent d’un certain niveau de planification avec la participation organisée de centaines de personnes, principalement recrutées parmi les communautés Yaka, Suku, Mbala, Ndinga et Songo. L’utilisation de fusils d’assaut militaires suggère que des armes ont été acheminées vers les groupes d’assaillants. Selon plusieurs sources, certains des fermiers les plus connus de la région auraient pris la tête de groupes d’assaillants et organisé des réunions dans leurs fermes pour planifier les attaques. Ces hommes ne sont connus que par leurs surnoms : Saddam, Cobra, Américain, Kapenda, Ephraïm et Wamba.
Des chefs coutumiers autoproclamés auraient également joué un rôle dans les attaques. Des sources judiciaires, policières et militaires, des chefs religieux et de la société civile, ainsi que des députés provinciaux ont tous désigné Odon Nkimona Kumbu, connu sous le nom de « Kiamvu », un titre royal yaka qu’il se serait attribué, comme étant l’un des principaux planificateurs et instigateurs de la violence.
Le 15 novembre, la police nationale a lancé un avis de recherche contre Kiamvu, Kapenda, Saddam, Cobra, Ephraïm et Américain. Décrits comme les « auteurs intellectuels » des violences communautaires, ils sont tous recherchés pour participation à des mouvements insurrectionnels. Aucun d’entre eux n’a été arrêté. Au contraire, certains d’entre eux, à l’instar de Kiamvu, ont été officiellement chargés d’assurer la médiation entre les communautés en conflit et d’aider à démobiliser les assaillants dans le cadre d’une « commission de pacification » mise en place par le président en septembre, et dirigée par Mini Kongo, un ancien lutteur et chef coutumier suku autoproclamé considéré proche des fermiers yaka.
« Je confirme qu’ils [les individus recherchés par les autorités] sont impliqués dans la commission pour qu’ils puissent convaincre leurs membres de quitter la brousse », a déclaré le vice-ministre de l’Intérieur Jean-Claude Molipe à Human Rights Watch le 2 mars. « C’est notre stratégie afin d’éviter un bain de sang, et à la fin des phases [de paix et de réconciliation], ces personnes seront remises entre les mains de la justice. »
Dans le cadre des travaux de la commission, environ 1 200 membres des groupes Mobondo se sont rendus et ont été remis à l’armée congolaise, qui les a transférés dans des centres de formation militaire. Dans une vidéo diffusée début janvier, un officier supérieur de l’armée s’adresse à un groupe de membres du Mobondo qui viennent de se rendre devant Mini Kongo. Il leur dit : « Dites à ceux qui sont encore en forêt de sortir. Les véhicules pour vous évacuer sont disponibles. Pour aller où ? À Kinshasa pour la formation et ensuite aller à l’est pour combattre [les Rwandais] et libérer notre Congo ! »
Les hommes qui se sont rendus ont ensuite scandé « Mobondo ! Sadam ! Mobondo ! Sadam ! », en référence à l’un de leurs chefs.
Le 29 janvier, Jean-Claude Molipe, Mini Kongo et Nana Manwanina Kiumba, ministre près le Président de la République, ont supervisé le départ à l’aéroport de Kinshasa de dizaines d’assaillants qui s’étaient rendus vers des centres d’entraînement militaire. Le nombre de membres des groupes Mobondo encore en liberté est inconnu, mais une nouvelle série d’attaques au début du mois de mars laisse penser qu’ils sont encore en capacité de nuire.
Les autorités congolaises devraient faire appliquer l’avis de recherche, enquêter sur toutes les allégations de crimes graves et traduire en justice les responsables des violences meurtrières, a déclaré Human Rights Watch. Les anciens membres des groupes Mobondo devraient faire l’objet d’un examen minutieux de leur profil (vetting) afin de s’assurer que les nouvelles recrues de l’armée n’ont pas été impliquées dans de graves violations des droits humains. Les personnes soupçonnées d’être impliquées dans des abus devraient faire l’objet d’une enquête impartiale et celles qui ont été reconnues comme responsables d’exactions ne devraient pas être autorisées à intégrer l’armée et faire l’objet de poursuites appropriées.