(Berlin, 11 janvier 2024) – Pendant la deuxième année de son invasion à grande échelle de l’Ukraine, le gouvernement russe a intensifié la censure liée à la guerre, l’emprisonnement des voix critiques et la répression des militants des droits humains, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui dans son Rapport mondial 2024.
« Tout en poursuivant sa guerre, le Kremlin a redoublé d’efforts pour éradiquer la simple possibilité de critiquer publiquement ses politiques étrangères et intérieures », a déclaré Rachel Denber, Directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Dans le même temps, les autorités déversent un flot de discours homophobes et xénophobes dans une tentative apparente de détourner l’attention des défis sociaux et économiques qui s’accumulent dans le pays ».
Dans son Rapport mondial 2024, sa 34e édition qui compte 740 pages, Human Rights Watch analyse les pratiques en matière de droits humains dans plus de 100 pays. Dans son essai introductif, la directrice exécutive Tirana Hassan affirme que 2023 a été une année lourde de conséquences, non seulement à cause de la répression des droits humains et des atrocités liées aux conflits armés, mais aussi en raison de l’indignation sélective et de la diplomatie transactionnelle. Ces pratiques gouvernementales, indique-t-elle, ont profondément porté atteinte aux droits de tous ceux restés en marge de « deals » inavoués. Une voie différente et porteuse d’espoir est possible, affirme-t-elle cependant, appelant les gouvernements à rester cohérents en respectant leurs obligations en matière de droits humains.
Les autorités russes ont continué à étendre et à durcir une législation déjà vaste et répressive. Parmi ces lois figurent celles sur les « agents de l’étranger » – désormais baptisées lois sur « l’influence étrangère » –, sur les « indésirables », sur la censure de guerre et sur d’autres mesures visant à interdire, à réduire au silence et à emprisonner les personnes qui s’opposent publiquement à la politique étrangère ou intérieure du Kremlin. Ces mesures visent en particulier les dirigeants de l’opposition, les activistes, les journalistes indépendants et les défenseurs des droits humains.
Les tribunaux russes ont obligé plusieurs organisations de défense des droits humains de premier plan à fermer leurs portes à la demande du ministère de la Justice, en invoquant des prétextes de pure forme, comme le fait de mener des activités et d’assister à des événements en dehors de Moscou, où ils étaient enregistrés, ou de ne pas se conformer aux exigences en matière d’« agents de l’étranger ». Au moins deux personnes ont été arrêtées et risquent l’emprisonnement pour des accusations liées aux lois sur les « agents de l’étranger ».
Certaines organisations internationales, dont plusieurs organisations de défense des droits humains, continuent d’être interdites en vertu de la législation sur les « indésirables ». Une loi adoptée en juillet a élargi le champ d’application des organisations étrangères interdites ; elle rend illégales les activités de toute organisation qui n’a pas de bureaux enregistrés en Russie. Les personnes qui, en Russie, continuent de collaborer avec ces organisations risquent des poursuites et des peines d’emprisonnement.
Après que la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt à l’encontre du président Vladimir Poutine et de la commissaire aux Droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova pour avoir transféré de force des enfants ukrainiens des régions occupées de l’Ukraine et pour les avoir déportés illégalement en Russie, les autorités ont adopté une loi qui pénalise l’assistance à des organes étrangers et internationaux « auxquels la Russie n’est pas partie ».
Elles ont en outre intensifié le recours aux accusations pour propos visant à « discréditer » les forces armées russes et pour diffusion de « fausses informations » les concernant, afin de réprimer les discours anti-guerre et de poursuivre et d’emprisonner des personnes dont le seul tort est d’avoir exprimé leur opinion de manière légale et pacifique. A la date de novembre 2023, selon l’organisation de défense des droits humains OVD-Info, au moins 77 personnes avaient été condamnées pour diffusion de « fausses informations » sur les forces armées et 52 pour propos visant à les « discréditer ». Parmi ces personnes se trouvaient de célèbres figures de l’opposition et des personnes qui n’avaient pas d’antécédents dans le militantisme. Une loi adoptée en avril permet aux autorités de déchoir de leur nationalité les ressortissants russes naturalisés, même si cela les rend apatrides, et de les expulser pour propos visant à « discréditer » et pour diffusion de « fausses informations ».
Les autorités poursuivent de plus en plus souvent des personnes sur la base de fausses accusations de trahison, de « coopération confidentielle » et d’espionnage. Selon l’organisation russe de défense des droits humains First Department, les autorités ont lancé au moins 21 procédures pénales en 2023 contre des personnes qui auraient coopéré de manière confidentielle avec des ressortissants non russes, en vertu d’une loi qui rappelle l’interdiction des contacts avec les étrangers de l’époque soviétique. Selon les médias, au cours du premier semestre 2023, le Service fédéral de sécurité a instruit plus d’affaires de trahison que pendant toute l’année 2022.
Les autorités russes ont continué de soumettre des activistes emprisonnés et des membres de minorités religieuses persécutées à des placements répétés et prolongés en cellule disciplinaire, au mépris des risques encourus par ceux qui souffrent de problèmes de santé.
Elles ont redoublé d’efforts dans l’utilisation abusive de la législation relative à la lutte contre l’extrémisme en mettant hors la loi et en persécutant des critiques antiguerre, des activistes de l’opposition et des membres de minorités religieuses. Un certain nombre de figures de l’opposition, d’anciens collaborateurs et partisans d’Alexeï Navalny, ainsi que Navalny lui-même, ont été condamnés à de lourdes peines de prison pour extrémisme. Les membres du mouvement de jeunesse « Vesna » sont accusés d’extrémisme pour leur activisme pacifique contre la guerre. En novembre, la Cour suprême a décidé d’interdire le « mouvement LGBT international » en tant qu’organisation extrémiste à la suite des poursuites engagées par le ministère de la Justice, menaçant ainsi toutes les formes d’activisme en faveur des droits des personnes LGBT dans le pays.
Tout au long de l’année 2023, les autorités russes ont intensifié leur répression contre les personnes LGBT. Elles ont adopté une loi visant les personnes transgenres qui, entre autres, proscrit les soins de santé liés à la transition et interdit aux personnes transgenres d’adopter des enfants ou d’en assumer la tutelle.
En Tchétchénie, l’administration du gouverneur Ramzan Kadyrov a continué de supprimer toute forme de dissidence en toute impunité, en ciblant les critiques et en exerçant des représailles contre les membres de leur famille, notamment par la mobilisation forcée d’hommes pour aller combattre en Ukraine.
Les autorités russes ont également poursuivi le renforcement des contrôles sur Internet, en bloquant arbitrairement des sites Internet sans décision des tribunaux, et en allongeant la liste des organes de l’État chargés de le faire. Parmi les contenus bloqués figuraient des médias indépendants, des organisations de défense des droits, des milliers de sites Internet critiquant l’invasion de l’Ukraine par la Russie et des contenus concernant les personnes LGBT.
« La batterie de mesures répressives du Kremlin vise apparemment à rendre stérile un terrain où prospérait autrefois une société civile florissante », a déclaré Rachel Denber. « Les gouvernements et les organisations internationales concernés devraient prendre les devants en renforçant la résilience de la société civile russe. »