Le 14 février 2020, des militaires camerounais et des membres armés de l’ethnie fulanie ont attaqué le village de Ngarbuh, dans la province du Nord-Ouest du Cameroun, tuant au moins 21 civils, dont 13 enfants et une femme enceinte, et incendiant et pillant des maisons. C’était une journée dont la brutalité a profondément choqué même ceux qui étaient depuis longtemps accoutumés aux violences croissantes dans cette région.
Cette attaque a été commise en représailles contre la communauté locale qui était soupçonnée d’héberger des combattants séparatistes. Le massacre s’est inscrit dans un contexte d’exactions commises par l’armée contre les civils dans les régions anglophones du Cameroun où, depuis plus de huit ans, les forces de sécurité affrontent des séparatistes armés – eux-mêmes également responsables d’attaques contre des civils – qui combattent pour obtenir l’indépendance de la minorité anglophone du pays.
Le gouvernement a tout d’abord nié que ses forces de sécurité étaient responsables du massacre, qualifiant de fausses les allégations formulées contre elles et lançant une campagne de dénigrement des organisations de défense des droits humains et des médias qui avaient révélé les meurtres. En mars 2020, en réponse à des pressions intérieures et internationales, les autorités ont mis sur pied une commission d’enquête, laquelle a conclu que l’armée avait tenté de camoufler son rôle dans cet incident et a identifié trois membres des forces de sécurité comme étant responsables des meurtres. En juin 2020, le gouvernement a annoncé que ces trois hommes avaient été arrêtés et inculpés de meurtre.
En décembre 2020, un procès s’est ouvert devant un tribunal militaire dans la capitale du Cameroun, Yaoundé, ce qui a constitué une étape importante vers l’établissement des responsabilités dans ce massacre. Toutefois, ce procès a traîné en longueur et a été entaché d’irrégularités. Des audiences ont été reportées à plusieurs reprises, les familles des victimes ne se sont vu accorder qu’une participation minimale aux procédures, et le tribunal a refusé d’admettre des éléments de preuve essentiels, y compris des certificats de décès. Aucun officier de haut rang n’a été arrêté ou inculpé.
Lors de la dernière audience véritable sur ce massacre, qui s’est tenue le 16 novembre 2023, des témoins ont pu s’exprimer et des comptes-rendus d’investigation ont été présentés. Mais depuis, le procès a été reporté trois fois, ce qui jette le doute sur la capacité du système judiciaire militaire à faire rendre des comptes pour des abus commis par l’armée. Le procès est censé reprendre cette semaine.
Ce procès constitue une occasion rare de rendre justice, non seulement pour les victimes de Ngarbuh, mais pour toutes les personnes qui ont subi des abus de la part de l’armée depuis le début de la crise dans les régions anglophones du Cameroun. Alors qu’approche la date d’une nouvelle audience, il est grand temps que les autorités judiciaires évitent de nouveaux reports et s’engagent à rendre justice.