(Jérusalem) – Les forces israéliennes ont détenu arbitrairement des professionnels de santé palestiniens à Gaza depuis le début des hostilités en octobre 2023, les ont transférés vers des centres de détention en Israël et les auraient torturés et maltraités, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. La détention de professionnels de santé dans le contexte des attaques répétées de l’armée israélienne contre les hôpitaux de Gaza a contribué à la dégradation catastrophique du système de santé de ce territoire assiégé.
Des médecins, infirmières et ambulanciers qui depuis ont été libérés ont décrit à Human Rights Watch les mauvais traitements subis lors de leur détention par les forces israéliennes, notamment l’humiliation, des coups, des positions de stress forcé, le fait d’être menottés et d’avoir les yeux bandés durant de longues périodes, et le refus de leur fournir des soins médicaux. Ils ont également évoqué des tortures, y compris des viols et des abus sexuels commis par les forces israéliennes, ainsi que les mauvaises conditions de détention pour l’ensemble des personnes détenues.
« Les mauvais traitements infligés par le gouvernement israélien aux personnels de santé palestiniens se poursuivent dans l’ombre, et doivent cesser immédiatement », a déclaré Balkees Jarrah, directrice par intérim de la division Moyen-Orient à Human Rights Watch. « La torture et les autres mauvais traitements subis par des médecins, des infirmières et des ambulanciers devraient faire l’objet d’une enquête approfondie, notamment par la Cour pénale internationale (CPI), et de sanctions appropriées. »
De mars à juin 2024, Human Rights Watch a mené des entretiens avec huit professionnels de santé palestiniens qui ont été emmenés par l’armée israélienne de Gaza vers Israël entre novembre et décembre 2023 ; ils y ont été détenus sans inculpation durant des périodes allant de sept jours à cinq mois. Six d’entre eux ont été arrêtés sur leur lieu de travail à la suite de sièges israéliens d’hôpitaux, ou lors d’évacuations d’hôpitaux qui avaient été coordonnées avec l’armée israélienne, ont-ils expliqué. Aucun d’entre eux n’a déclaré avoir été informé de la raison de sa détention, ou inculpé d’une infraction. Human Rights Watch a également recueilli les témoignages de sept personnes qui ont vu des soldats israéliens arrêter des professionnels de santé, alors qu’ils travaillaient.
Le 13 août, Human Rights Watch a transmis à l’armée israélienne et aux services pénitentiaires israéliens un courrier détaillant ses constatations préliminaires, mais n’a pas reçu de réponse à ce jour.
Tous les professionnels de santé avec qui Human Rights Watch s’est entretenu ont fait des récits similaires au sujet des mauvais traitements subis lors de leur détention par les forces israéliennes. Après avoir été appréhendés à Gaza, ils ont été déportés vers des centres de détention en Israël, notamment la base militaire de Sde Teiman dans le désert du Néguev et la prison d’Ashkelon, ou transférés de force vers la base militaire d’Anatot (près de Jérusalem-Est) et le centre de détention d’Ofer en Cisjordanie occupée. Tous ont déclaré avoir été forcés à se déshabiller, battus et contraints d’avoir les yeux bandés et les mains menottées, dans plusieurs cas pendant des semaines d’affilée ; ils ont aussi dit avoir subi des pressions pour avouer leur appartenance au mouvement Hamas, sous la menace de détention illimitée, de viol ou du meurtre de leurs familles à Gaza.
Le ministère de la Santé de Gaza a signalé le 8 juillet que les forces israéliennes avaient arrêté au moins 310 professionnels de santé palestiniens depuis le 7 octobre. L’organisation non gouvernementale Healthcare Workers Watch-Palestine a documenté 259 détentions de professionnels de la santé, et a recueilli 31 témoignages décrivant des actes de torture et d’autres abus commis par les autorités israéliennes. Parmi ces abus figuraient le recours à des positions douloureuses, la privation de nourriture et d’eau adéquates, des menaces de violences sexuelles et de viol, et des traitements dégradants. Healthcare Workers Watch-Palestine a aidé Human Rights Watch à mener des entretiens avec des professionnels de santé libérés.
La détention arbitraire prolongée et les mauvais traitements infligés aux professionnels de santé ont aggravé la crise sanitaire à Gaza, a déclaré Human Rights Watch. Depuis le 7 octobre, plus de 92 000 personnes ont été blessées à Gaza, et les hôpitaux encore opérationnels disposent de moins de 1 500 lits ; néanmoins, les autorités israéliennes n’ont autorisé que 35 % des quelque 14 000 personnes ayant demandé une évacuation médicale à quitter Gaza, a signalé l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 5 août.
Les témoignages des professionnels de santé concordent avec ceux recueillis pour d’autres rapports indépendants, notamment les rapports publiés par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et par l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Les témoignages sont également semblables a ceux publiés par des médias israéliens et des organisations israéliennes de défense des droits humains, qui évoquent des dizaines de cas de détention au secret, de passages à tabac, de violences sexuelles, d’aveux forcés, d’électrocution et d’autres actes de torture et d’abus contre des Palestiniens détenus par les forces israéliennes.
Le 3 juin, le journal israélien Haaretz a indiqué que l’armée israélienne menait des enquêtes criminelles sur les décès de 48 Palestiniens, survenus dans des centres de détention israéliens depuis le 7 octobre. Parmi ces personnes figuraient le Dr Adnan al-Bursh, qui était chirurgien et chef du service d’orthopédie de l’Hôpital al-Shifa à Gaza, et le Dr Eyad al-Rantisi, qui dirigeait le centre de santé pour femmes à l’Hôpital Kamal Adwan à Beit Lahia.
L’Article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949, applicable aux hostilités entre Israël et les groupes armés palestiniens, stipule que « les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités… seront en toutes circonstances traitées avec humanité ». Les « traitements cruels, torture et supplices » et « les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants » sont interdits en toutes circonstances. Les blessés et les malades « seront… soignés ».
L’Article 49 de la Quatrième Convention de Genève, applicable aux territoires occupés, interdit « les transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance occupante […] quel qu'en soit le motif ».
Les violations graves de l’Article 3 commun aux quatre Conventions de Genève, et de l’Article 49 de la Quatrième Convention de Genève, commises avec une intention criminelle, constituent des crimes de guerre.
Communiqué complet en anglais en ligne ici.
………..