Skip to main content
Faire un don

Cambodge : Un journaliste d'investigation arrêté et inculpé de manière infondée

Mech Dara risque deux ans de prison pour « incitation à troubler l’ordre public »

Le journaliste cambodgien Mech Dara, photographié en décembre 2022. © 2022 Privé

(Bangkok) – Les autorités cambodgiennes ont arrêté et inculpé le journaliste d’investigation Mech Dara, apparemment en guise de représailles liées à son travail, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Mech Dara, âgé de 36 ans, et lauréat d’un prix pour ses précédents reportages, avait récemment mené une enquête sur la traite d'êtres humains et la cybercriminalité, critiquant le rôle du gouvernement.

La police militaire a arrêté Mech Dara le 30 septembre, alors qu’il se trouvait dans sa voiture avec sa famille sur une voie rapide à péage en direction de Phnom Penh. Le lendemain, un juge d’instruction l’a inculpé d’incitation à troubler l’ordre public, en vertu des articles 494 et 495 du Code pénal cambodgien. Déjà avant son arrestation, des médias pro-gouvernementaux avaient qualifié de « fausses nouvelles » ses récentes publications sur les réseaux sociaux concernant l’excavation d’une carrière. Les autorités locales avaient accusé Mech Dara de vouloir « provoquer des troubles sociaux et de la confusion », et avaient appelé le ministère de l’Information à engager des poursuites judiciaires contre lui.

« L’arrestation du journaliste primé Mech Dara sur la base de fausses accusations montre que le gouvernement cambodgien est déterminé à éradiquer tout ce qui reste de médias indépendants dans le pays », a déclaré Bryony Lau, directrice adjointe pour l’Asie à Human Rights Watch. « Les autorités cambodgiennes devraient enquêter sur les cybercrimes et d’autres types de corruption révélés par les journalistes et les groupes de défense des droits humains, au lieu d’intensifier leurs attaques contre la liberté d’expression et les médias. »

Le site CamboJA News (de l’Alliance des journalistes cambodgiens CamboJA), a indiqué que des membres de la police militaire circulant dans un convoi de six voitures ont arrêté Mech Dara, en disant à sa famille qu’ils avaient un mandat d’arrêt mais sans expliquer l’accusation. Mech Dara a pu envoyer un SMS à l’association cambodgienne de défense des droits humains LICADHO pour les alerter de son arrestation. La LICADHO a alors envoyé plusieurs SMS à Mech Daro, mais n’a reçu aucune réponse de sa part.

Pendant environ 20 heures après l’arrestation de Mech Dara, aucune nouvelle à son sujet n’a été divulguée. Le tribunal municipal de Phnom Penh a par la suite confirmé qu’il se trouvait depuis le 1er octobre en détention provisoire dans la prison provinciale de Kandal. Mech Dara n’a pas été autorisé à rencontrer ses avocats ni ses proches avant d’être placé en détention provisoire ; il a été interrogé au tribunal municipal de Phnom Penh cet après-midi-là.

Les avocats de Dara ont indiqué qu’il était accusé d’incitation à troubler l’ordre public, en raison de ses publications sur les réseaux sociaux du 20 au 29 septembre. Les autorités cambodgiennes ont souvent fait un usage abusif de l’accusation d’incitation aux troubles à l’ordre public, passible d’une peine de prison maximale de deux ans, pour réprimer les critiques du gouvernement. Des groupes de défense des droits humains, des organisations médiatiques et d’autres ont appelé conjointement à la libération immédiate de Dara, affirmant que son arrestation était une « tentative manifeste d’intimider et de réduire au silence [Mech Dara] et d’autres journalistes ».

Les autorités cambodgiennes avaient déjà arrêté Dara en 2022, après qu’il eut rendu compte du sauvetage de ressortissants vietnamiens qui étaient obligés de travailler dans d’un centre suspecté de cyber-escroquerie (fraude en ligne) à Sihanoukville. De tels centres commettent des opérations d'escroquerie en ligne à l’échelle mondiale, en s’appuyant en partie sur le travail forcé de diverses personnes. En 2023, le département d’État américain a récompensé les nombreux reportages de Dara sur le trafic transnational et les escroqueries en lui décernant le prix « Trafficking in Persons (TIP) Report Hero Award » (« Prix ​​du Héros du reportage sur la traite des êtres humains »). Le département d’État américain avait alors affirmé que les reportages de Dara « ont attiré l’attention de la communauté internationale et ont amélioré la réponse du gouvernement cambodgien à la lutte contre la traite des êtres humains », et qu’il a utilisé les plateformes de médias sociaux pour « continuer à partager du contenu d’actualité, notamment des informations sur la traite et l’exploitation des êtres humains au Cambodge ».

 Le 12 septembre, les États-Unis ont imposé des sanctions à un magnat cambodgien, Ly Yong Phat, à son conglomérat L.Y.P. Group Co., à O-Smach Resort et à trois hôtels contrôlés par Ly, invoquant ses liens avec le travail forcé dans des centres de cyber-escroquerie. Malgré les affirmations du gouvernement cambodgien selon lesquelles des responsables ont effectué des descentes dans des lieux suspects, de tels centres continuent de fonctionner en toute impunité au Cambodge. Le rapport 2024 du département d’État américain sur la traite des êtres humains (« Trafficking in Persons (TIP) Report ») a également noté que la corruption persistante et la complicité des autorités dans les crimes de traite restaient généralisées et endémiques au Cambodge. En 2023, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a signalé qu’au moins 100 000 personnes au Cambodge étaient contraintes au travail forcé dans le cadre d’opérations d’escroquerie en ligne.

Le gouvernement cambodgien contrôle de fait toutes les chaînes de télévision et de radio nationales diffusant en khmer, la langue nationale, ainsi que les journaux publiés dans cette langue. En février 2023, le gouvernement cambodgien a porté un nouveau coup à la liberté de la presse en fermant Voice of Democracy, l’un des derniers organes de presse nationaux indépendants. Ce media avait aussi publié des reportages sur le trafic de personnes étrangères dans le cadre d’opérations de cyber-escroquerie, dont certaines étaient manifestement menées avec le soutien de hauts responsables du parti au pouvoir.

Le Premier ministre cambodgien Hun Manet, malgré ses promesses de renforcer la démocratie et l’État de droit, a largement poursuivi les politiques abusives de son père, Hun Sen, qui a dirigé le Cambodge pendant près de 40 ans. Des experts des droits humains des Nations Unies ont appelé à la cessation de la répression de la société civile et des défenseurs des droits humains au Cambodge ; mais au lieu de cela, Hun Manet il a renforcé les restrictions aux libertés fondamentales, intensifié la persécution des dissidents au Cambodge et a alourdi les sanctions pénales contre la dissidence pacifique.

« Les gouvernements préoccupés devraient appeler le gouvernement cambodgien à libérer immédiatement Mech Dara, ainsi que toutes les autres personnes détenues à tort simplement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression et d’association », a déclaré Bryony Lau. « Les partenaires financiers contribuant au développement du Cambodge devraient demander au gouvernement de Hun Manet de mettre fin à ses efforts visant à éradiquer les libertés fondamentales. »

………

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.

Région/Pays