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Tchad : Des discussions relatives à la justice pour des crimes passés ont été bloquées

Un ancien porte-parole de Human Rights Watch a été détenu et expulsé du pays, et la conférence annulée

Reed Brody, ancien conseiller juridique et porte-parole pour Human Rights Watch, à gauche, et Souleyman Guengueng, un activiste des droits humains tchadien qui avait été emprisonné et torturé sous le régime de Hissène Habré, à Dakar, au Sénégal, le 13 juillet 2015. © 2015 AP Photo/Carley Petesch

(Nairobi) – Le 2 octobre 2024, la police tchadienne a forcé l'annulation d'une conférence prévue dans la capitale, N’Djamena, lors de laquelle il devait y avoir des discussions sur la justice pour les victimes des abus commis par Hissène Habré, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. La police a également détenu un ancien conseiller juridique de Human Rights Watch, qui devait être l’intervenant principal lors de l'événement.

« Cibler des activistes des droits humains qui demandent justice souligne la gravité des injustices auxquelles font continuellement face les victimes de Hissène Habré », a déclaré Tirana Hassan, directrice exécutive de Human Rights Watch. «Au lieu d’étouffer les discussions à ce sujet, le gouvernement devrait finaliser le processus de compensation totale aux victimes de Habré qui souffrent depuis longtemps. »

La section presse et culturelle de l'ambassade des États-Unis à N’Djamena, en partenariat avec le Centre d’Étude et de Formation pour le Développement (CEFOD), avait organisé cette table ronde. Les intervenants principaux devaient être Reed Brody, un ancien conseiller juridique et porte-parole de Human Rights Watch qui avait mené le travail de l'organisation sur Hissène Habré, et Jacqueline Moudeina, une éminente militante des droits humains qui a longtemps travaillé sur l'affaire Habré. Brody était également présent pour discuter de l'édition française de son livre, « La Traque de Hissène Habré : Juger un dictateur dans un monde d’impunité ».

Des policiers sont arrivés au siège du CEFOD à 14h30 le 2 octobre, juste avant le début de la conférence, et ont demandé à Brody de leur remettre son passeport. Un témoin a entendu un policier dire : « Nous allons vous mettre sur un vol pour quitter le pays ce soir ». Les policiers voulaient initialement arrêter Brody et le transporter dans leur véhicule, mais le personnel du CEFOD a pu convaincre les policiers de les laisser conduire Brody eux-mêmes à la Direction générale du renseignement et de l'investigation (DGRI), en les suivant dans leur propre voiture.

À la DGRI, Brody a été interrogé pendant environ deux heures sur les raisons l’ayant poussé à ne pas demander une autorisation particulière pour assister à la conférence. La police a ensuite accompagné Brody à son hôtel et l'a forcé à faire ses valises pour un vol prévu le même soir. Brody devait initialement quitter le Tchad le 4 octobre.

Ces actions de la police étaient très inhabituelles vu qu’au Tchad, les organisations tchadiennes et internationales tiennent fréquemment des conférences de presse et des tables rondes, sans difficulté ni autorisation préalable. En outre, ces organisations, y compris Human Rights Watch, publient régulièrement des rapports et communiqués. Cependant, les groupes de la société civile tchadienne et les journalistes ont signalé des cas de harcèlement et d'intimidation dans leurs activités quotidiennes lorsqu'ils s’expriment sur des cas de violations des droits humains.

La décision de bloquer la tenue de la conférence illustre à quel point certains responsables gouvernementaux font la sourde oreille aux critiques de la situation passée des droits humains dans le pays – et refusent d'en tirer des leçons – ainsi qu’à leurs promesses de compensation aux victimes, a déclaré Human Rights Watch.

De 1982 à 1990, le régime à parti unique de Habré a été marqué par des atrocités largement répandues, au cours desquelles certains groupes ethniques étaient particulièrement ciblés. En 2001, Human Rights Watch a récupéré des dossiers de la Direction de la documentation et de la sécurité, la police politique de Habré, dans lesquels figurent les noms de 1 208 personnes qui ont été tuées ou sont mortes en détention, ainsi que 12 321 victimes de violations des droits humains. Habré a été chassé du pouvoir en 1990 par Idriss Déby Itno et s’est exilé au Sénégal.

Le 30 mai 2016, à l'issue d'une longue campagne par les victimes soutenues par Human Rights Watch, un tribunal sénégalais à Dakar, appuyé par l'Union africaine (UA), a condamné Habré à la prison à perpétuité pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et torture, y compris violences sexuelles et viols. Habré est mort en prison en août 2021. Lors d'un autre procès au Tchad, un tribunal avait condamné 20 agents de sécurité du régime Habré pour meurtres ? et actes de torture le 25 mars 2015. Les deux tribunaux ont ordonné la compensation des victimes à hauteur de plusieurs dizaines de millions de dollars.

Suite à la mort inattendue d'Idriss Déby Itno en 2021, son fils, Mahamat Idriss Déby Itno, a saisi le pouvoir et s'est auto-proclamé chef d'un conseil militaire lors d’une transition en violation de la constitution. En décembre 2023, suite à un référendum, une nouvelle constitution, permettant à Mahamat Déby de se présenter à la présidence, a été votée. Il a été élu président en mai lors d'une période électorale marquée par la violence.

En février 2024, suite à une réunion entre le président Mahamat Déby et trois associations de victimes tchadiennes, le gouvernement a entamé le processus de compensation en versant 16,5 millions de dollars (10 milliards de francs CFA) à 10 700 victimes, y compris des rescapés de prison et des familles de ceux qui ont été tués sous le régime de Habré, qui recevront chacun 925 000 CFA (1 529 dollars). Cela représente moins de 10 % des montants accordés par les tribunaux sénégalais et tchadien. Les associations de victimes ont apprécié ces paiements, mais continuent de réclamer leur droit à une pleine compensation.

Le gouvernement n'a pas non plus respecté la décision d'un tribunal tchadien ordonnant la création d'un monument en hommage aux personnes tuées sous le régime Habré et celle d'un musée dans les enceintes de l'ancien siège de la police politique où les détenus étaient torturés.

Bien qu’en 2017, l'UA ait alloué 5 millions de dollars à un fonds pour les victimes, conformément à une ordonnance de la cour d'appel du Sénégal, le fonds n'est toujours pas opérationnel.

« Le gouvernement devrait engager un dialogue positif avec les défenseurs des droits humains et les victimes des crimes commis par Habré afin de garantir leur réparation et, de manière générale, d'améliorer la situation des droits humains au Tchad », a conclu Tirana Hassan. « Le gouvernement devrait soutenir le travail d'activistes tels que Reed Brody et Jacqueline Moudeina qui plaident pour la responsabilité des crimes graves commis au Tchad et au-delà, et nous espérons que notre relation constructive avec le gouvernement tchadien pourra se poursuivre. »

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